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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 mars 1843

28 mars [1843], mardi matin, 11 h.

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher adoré. Comment vas-tu, aujourd’hui, mon ravissant petit homme ? J’espère que tu ne t’es pas couché quand les moigniaux commençaient à ôter leurs têtes de sous leurs ailes ? Pauvre bien-aimé si doux, si gai et si charmant, je ne veux pas que tu te tuesa à travailler toutes les nuits. Je te défends de te lever avec les susdits moigniaux et encore moins de ne te coucher que quand ils se lèvent eux.
Je te remercie, mon bon ange, de ta lettre à Trébuchet cette nuit. Moi qui vois ta vie, je sais ce qu’il faut de courage et de générosité à toi dans trois ou quatre lignes données à des indifférents. Je baise tes beaux yeux avec respect et avec adoration.
C’est ce soir qu’on doit jouer des couteaux là-bas. Je voudrais pouvoir jouer de la trique, instrument sur lequel je suis d’une force assez gracieuse, sur le dos de ces hideux gredins. Il faut espérer qu’il y aura beaucoup de virtuoses de mon talent et de ma bonne volonté et qu’ils pourront exécuter une symphonie à tour de bras sur la carcasse du Constitutionnel-National en masse et en détail.
Je n’ai pas encore vu personne de chez les Lanvin. Mais dans tous les cas, je serai très réservée à l’endroit des quatre places supplémentairesb.
J’attends Mme Franque et Mme Pierceau tout à l’heure ou du moins tantôt pour dîner. Après, je les installerai dans la loge K. Dieu veuille qu’elles entendent la pièce mais j’en doute d’après les ignobles menées de l’autre fois. Il faudrait une force imposante de poings et de pieds à la première manifestation hostile. Mais il faudrait pour cela tous les vrais amis à leur poste et c’est ce que nous n’aurons pas. Enfin, à la grâce de Dieu. Je sais que tu es armé de l’arme la plus noble et la plus victorieuse et que tu peux terrasser tous tes ennemis d’un seul coup. Je ne suis plus tourmentée. J’irai ce soir au théâtre le cœur plein de courage et de tranquillité.
Je te verrai d’ici là, n’est-ce pas mon bien-aimé ? Je ne sais pas à quelle heure commencera le spectacle ? Je ne sais pas non plus si tu souperas mais je t’ai fait préparer à souper dans le cas où tu serais assez gentil pour vouloir le manger. Mais j’ai besoin de te voir, j’ai besoin de te baiser, j’ai besoin de t’adorer à deux genoux. Il faut venir bien vite et ne pas me laisser tirer la langue de plusieurs mètres, je veux dire de plusieurs aunes de long.
Dès que tu pourras agripper un exemplaire des Burgraves pour mon beau-frère, je te prie de n’y pas manquer. Je suis sûre que le pauvre homme attend ce livre avec des soupirs d’impatience. Quant aux autres, ma foi, ce sera quand tu le pourras. Je ne t’en tourmenterai pas autrement. Je t’aime mon Toto chéri. Je t’adore mon ravissant petit homme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 276-268
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « tue ».
b) « suplémentaires ».

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