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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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15 mars 1843

15 mars [1843], mercredi matin, 10 h. ¾

Bonjour mon Toto adoré, bonjour mon bien-aimé. Tes habits mouillés ne t’ont pas fait de mal cette nuit ? Tu auras peut-être pensé à les ôter tout de suite en rentrant, je l’espère du moins. Moi, je me suis enrhumée, je ne sais ni quand ni comment mais j’ai un rhume de cerveau hideux. Tout cela ne sera rien si nous avons le dessus ce soir, et nous l’aurons. Suzanne est ravie de la pensée d’aller battre des mains et pousser des hurlements dans une loge à elle. Je te réponds qu’elle s’en acquittera à merveille. Je n’ai vu aucun Lanvin mais je ne les crois pas très regrettables pour cette fois-ci. Dans les toutes premières représentations, je ne dis pas parce qu’alors ils ne se mêlent pas de faire de la littérature. Mais autrement, je les craindrais plus que je n’y aurais de confiance, non pas qu’ils ne soient de très bonne foi, les pauvres gens, mais parce que le mieux, avec de pareilles intelligences, est l’ennemi du bien.
Une chose qui portera bonheur aux Burgraves, c’est aujourd’hui le jour anniversaire du mariage de ta fille. Il est bien juste que ce soit un jour de victoire et de consolation pour toi mon pauvre père et mon grand poète. Aussi ce soir j’ai la conviction que nous enterreronsa les Maximilien et leur honteuse opposition. Je regrette de n’être pas homme dans des occasions comme celle-ci, mon adoré, pour pouvoir lutter corps à corps avec tes ennemis. Après l’amour tendre et passionné de la femme, il y a chez moi un respect, une vénération, une admiration et un dévouement qui iraientb très bien au plus honnête et au plus intelligent des hommes. Je te réponds que si le travestissement humain pouvait se faire comme pour les vêtements, ton chef d’escadron ne se serait pas montré une seconde fois aux Burgraves. Enfin, cela ne se peut pas et c’est grand dommage car je ne me serais pas fait faute de porter la culotte pendant toutes ces représentations.
Je n’ai pas pensé hier à te demander si tu avais envoyé une place à [illis.] qui en demandait une à la dernière représentation d’une manière grotesque et charmante à la fois ? Il y avait aussi plusieurs autres individus dont j’ai oublié les noms qui te demandaient des places. Au reste tu n’aurais pas manqué de gens à qui les donner, l’important étant de les bien donner.
J’espère que je te verrai un moment de la journée et que tu ne me laisseras pas seule toute la soirée dans ma loge ? Autrefois tu ne me quittais presque pas et cela n’en allait pas plus mal, au contraire ; l’amour protège qui le sert bien et je suis sûre que tous les baisers que tu me donnerais ce soir se résoudraient en chiquenaudes monstrueuses sur le nez des Maximilien [1]. C’est à toi de voir si tu veux me faire cette joie et leur donner ce plaisir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 233-234
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « enterrons ».
b) « irait »

Notes

[1Néologisme formé par Juliette Drouet pour désigner les partisans de Mlle Maxime.

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