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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 mars 1843

5 mars [1843], dimanche matin, 11 h.

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher amour. Je ne t’ai pas dit assez cette nuit combien tu étais bon et ravissant d’être venu malgré l’heure avancéea, ta fatigue et le mauvais temps. Plus j’y pense et plus je sens ce qu’il y a de bon et de charmant dans cette petite visite si courte mais si tendre.
Je m’en veux de ne savoir rien faire et d’être aussi maladroite que je le suis car peut-être s’il en était autrement aurais-tu fait ton travail de places auprès de moi et je t’y aurais aidé ? C’est une grande honte pour moi d’être si ignorante et si maladroite et surtout un grand chagrin quand je sens que cela me prive du bonheur d’être avec toi. Malheureusement, il est trop tard pour revenir sur mes pas, en supposant même, ce qui est une question, que j’aie jamais pu rien apprendre. Mais tout cela, mon Toto, rend ta bonté plus aimable encore et je t’en remercie du fond du cœur. Je t’aime.
Tâche de m’apporter les billets d’assez bonne heure lundi pour être sûr que la poste aura le temps de faire son devoir. Comme ce sont des places qui applaudiront, il serait bon qu’elles fussent occupées car évidemment les places hostiles ne seront pas abandonnées ce jour-là. Mais, mon pauvre ange, je ne sais pas pourquoi je te rabâche toutes ces choses-là, il va trop sans dire que cela ne dépend pas de toi et que tu feras pour le mieux.
Je voulais te demander s’il fallait inviter la mère Pierceau à venir dîner ce jour-là pour que je ne sois pas seule à aller au théâtre, dans le cas où tu ne serais pas sûr, avec les procès et les affaires que tu as, de pouvoir m’y conduire ? Comme elle viendra aujourd’hui, je le lui aurais dit tout de suite. Il est vrai qu’il y aura encore le temps d’ici à ce soir et que je te verrai d’ici là je l’espère.
En attendant, mon Toto bien-aimé, tâche de penser un peu à moi et de m’aimer si tu peux. Moi je n’ai pas d’autre pensée que la tienne, d’autre désir que de te voir, d’autre bonheur que de t’aimer.
Je baise tes chères petites pattes blanches et je les prie de se tourner bien vite de mon côté pour venir me trouver.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 203-204
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « avancé »


5 mars [1843], dimanche soir, 10 h. ½

Voici mes deux péronnelles parties, mon adoré, bien contentes toutes les deux car je les ai invitées toutes les deux pour après demain. Je n’aurais jamais eu le courage de dire à Mme Pierceau de venir devant Mme Triger sans inviter cette dernière. Du reste, jamais faveur n’a été reçue avec plus de joie et de reconnaissance que celle de cette première représentation. La froideur habituelle de Mme Triger n’y a pas tenu ; elle a poussé des cris de joie à faire retentir la maison. Il est convenu que si la place du fond est trop mauvaise, nous l’occuperons alternativement toutes les trois une fois, ce qui fera juste la trilogie de notre personnel féminin. Pour Suzanne, tu la mettras dans un bonnet d’évêque [1] quelconque : je te promets qu’elle en sera très bien coiffée et que pourvu qu’elle voie beaucoup de monde, et qu’elle entende beaucoup de bruit, elle en sera ravie. Quant à moi, mon cher ange, je ne sais pas ce que je serai ce jour-là. Cela dépendra de la conduite des amis de Mlle Maxime. Tout ce que je te promets c’est que, quoi qu’il arrive, tu seras toujours mon cher petit Toto admiré et adoré par ta vieille Juju.
En attendant, je suis dans un état hideux, j’ai la bouche pleine d’affetes [2], est-ce comme ça que cela s’écrit ? et je serai laide comme un pou-laida comme Monpoub l’est, ou l’était, puisqu’il est allé dans l’autre monde depuis ce coq-à-l’âne. Enfin cela ne m’empêchera pas d’applaudir et de taper sur la coloquinte des melons cabaleurs qui se trouveront à portée de mes griffes et de mes calottes, je t’en réponds. Baise-moi, je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 205-206
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « poux-laid ».
b) « Monpeou ».

Notes

[1Bonnet d’évêque : au théâtre, petite loge en hauteur.

[2Juliette a conscience de faire une faute d’orthographe à « aphtes ».

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