Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1843 > Mars > 3

3 mars 1843

3 mars [1843], vendredi midi

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon amour ravissant, bonjour bonjour je t’aime. Je viens d’avoir une souleur [1] en recevant une lettre de cette vieille sorcière de Ribot tout à l’heure, je craignais que ce ne fût encore quelque tour de sa façon. Mais il ne s’agit cette fois que d’une formalité : la somme de bon pour 4000 F à écrire en toutes lettres dans l’acte que tu lui as fait. Ce sera un ennui pour toi d’aller chez cette vieille sorcière ou de la faire venir chez moi pour mettre ces cinq ou six mots sacramentels. Mais il le faudra bien car elle ne nous laisserait pas tranquilles sans cela : toutes ces misères s’ajoutent à des affaires sans nombre, et à des occupations plus fatigantesa et plus désagréables les unes que les autres. Mais qu’y faire, mon cher adoré, je ne le sais pas, moi ?
J’ai préparé ton papier timbré tant bien que mal tu verras et il peut servir comme ça. Je suis si maladroite que je me suis trompée, rien que pour écrire le nom des mois, ce dont je ne me suis aperçueb qu’à l’avant-dernier. Force m’a été de les effacer comme j’ai pu et de les récrire dans leur ordre naturel. Mais je ne sais pas si cela ne fera pas trop gribouillage, tu verras. Il me semble que cela ne peut pas avoir d’importance. Mais enfin, tu le verras et si ce papier ne peut pas servir, je recommencerai sur un autre et je tâcherai de ne pas me tromper.
Je te demanderai ce soir la permission d’assister demain à ta répétition. Je grille d’impatience de connaître entièrement cette admirable pièce dont les commencements sont si beaux qu’il me semble que tu t’es surpassé toi-même, et si la pièce passe mardi [2], comme tu le crois, il n’y a pas de temps à perdre pour voir une répétition générale. Je désire et je redoute cette première représentation plus que je ne peux te dire. C’est la première fois que j’éprouve cette crainte. Auparavant ce n’était que de l’émotion mais cette fois-ci, c’est de la vraie peur. J’espère que ce ne sera que ça mais je voudrais être au lendemain.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 197-198
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « fatiguante ».
b) « aperçu ».


3 mars [1843], vendredi soir, 10 h. ½

Je vais bientôt te voir, mon adoré, du moins je l’espère ; j’espère aussi que tu seras moins inquiet qu’hier sur ton dernier acte. J’ai hâte de te voir pour savoir toutes les choses qui m’intéressent, et surtout pour baiser ta ravissante petite figure.
J’ai fait acheter une autre feuille de papier timbré dans le cas où tu ne voudrais pas te servir de la première. Dans tous les cas, la seconde servirait pour l’année prochaine et il n’y aurait rien de perdu de cette façon. Une chose qui m’ennuie horriblement pour toi, c’est la nécessité d’aller chez cette vieille voleuse ou de lui donner rendez-vous ici pour écrire ces quatre mots qu’elle réclame. Ce diable de Démousseau nous a fait tout cela très sommairement, en somme, car la moitié des formalitésa qui donnent la sécurité et la garantissent manquent dans l’acte qui doit me libérer. Il faut croire, cependant, qu’il y en a suffisamment pour qu’on ne puisse pas revenir à la charge de nouveau. Mais avec les usuriers, il vaut mieux deux sûretésb qu’une seule et à ce point de vue, le brave Démousseau nous a leurrés. Enfin cela n’aura pas de conséquences fâcheuses pour l’avenir, il faut l’espérer, et ne pas nous en tourmenter à l’avance.
Je t’aime, mon Victor adoré, je t’aime de toute mon âme. Je t’admire, je te trouve beau, je te vénère, tu es le meilleur et le plus noble et le plus digne des hommes, je t’adore, tu es le plus ravissant être que le bon Dieu aitc jamais fait. Je voudrais baiser tes pieds et mourir pour toi, mon Toto chéri. Mon pauvre amour, dépêche-toi de venir baigner tes beaux yeux. Je m’en veux de ne t’avoir pas donné tes bottes cette nuit mais heureusement il n’a pas fait humide aujourd’hui. J’ai hâte de te voir et de te manger [illis.]

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 199-200
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « formalitées »
b) « sûretées »
c) « est »

Notes

[1Souleur : frayeur, émotion subite.

[2La première des Burgraves aura lieu le mardi 7 mars.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne