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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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11 février [1843], samedi matin, 11 h. ¼

Bonjour mon Toto chéri, bonjour méchant, bonjour adoré, bonjour monstre d’homme. Vous étiez bien pressé de me quitter cette nuit, scélérat. Je vous vois si peu et le peu que je vous voisa, je ne peux même pas échanger deux paroles de tendresse avec vous puisque vous êtes occupé pendant ce temps : à lire vos journaux, à corriger vos épreuves, à faire votre correspondance ou à changer de bottes. Si vous croyez que c’est amusant, vous vous trompez du tout au tout, mon cher petit homme. Ce l’est si peu, que si vous ne vous dépêchez pas de changer de manière de vivre avec moi, je vous ficherai des coups dont vous me direz de bonnes nouvelles.
Vous n’avez pas voulu me dire le jour du mariage de votre chère petite Didine pour me priver du plaisir d’y assister en pensée. La défiance vous rend féroce à mon endroit. Depuis dix ans Dieu sait ce qu’elle m’a fait souffrir, cette injuste défiance, sans parler des joies dont elle m’a privée. Enfin, mon cher bien-aimé, si tu es tranquille et heureux de cette façon, le but est rempli car ton bonheur c’est tout ce que je désire. Le mien viendra après s’il peut. Pense à moi, mon Toto, et aime-moi, ce ne sera que me rendre bien faiblement le culte d’adoration que je t’ai voué.
Voilà plusieurs jours que les habitudes de ma maison sont interverties et que je ne peux pas t’écrire régulièrement comme je le fais tous les jours. Il est vrai que je me rattrapeb le matin de ma déconvenue du soir. Mais c’est égal, je n’aime pas qu’on me bouleverse mes habitudes d’amour. Les autres ça m’est égal. D’ailleurs je n’en ai pas, excepté de t’aimer à tous les instants de ma vie, je n’ai aucune habitude qu’on puisse déranger. Excepté le bonheur de te voir, je n’ai aucun plaisir qu’on puisse contrarier.
J’attends le Démousseau demain à 2 h ½. C’est bien tôt mais je serai prête cependant ; il faudrait que tu me dises bien positivement ce qu’il y aura à lui dire et à lui faire faire. Quand tu viendras tantôt je te prierai de me donner tous ces renseignements. Je tâcherai, en outre, de terminer mes comptes aujourd’hui et de faire les recherches que tu me demandes sur MM. Guérard, Mignon et Lafabrègue. Mais je ne te promets pas que cela puisse être fait cependant parce que les jours sont courts et que j’ai un tas de triquemaques à faire dans ma maison.
Vous n’avez pas voulu faire ma commission auprès de Didine, vous êtes une bête, voilà tout ce que vous êtes. Vous ne savez rien comprendre en fait de sentiment. Vous êtes un affreux ours, c’est moi qui vous le dis. Taisez-vous. Je voudrais bien pouvoir en dire autant à ma Cocotte qui pousse d’affreux cris et que je ne peux pas faire taire. Il me tarde qu’elle parle, si elle doit parler, pour ne plus entendre ces cris assourdissants qui me font mal au point d’y renoncer si elle devait persister dans ce genre vocal et instrumental. J’aime mieux votre chant mélodieux sur les paroles : voilà un musicien qui passec. Ceci n’est qu’une pochade dont vous seul pouvez apprécier le mérite. C’est à vous que je la dédie avec les paroles sublimes que vous savez en épigraphe. Maintenant, baisez-moi et aimez-moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 133-134
Transcription de Olivia Paploray, assistée de Florence Naugrette

a) « voie ».
b) « rattrappe ».
c) Dessin de musicien :

© Bibliothèque Nationale de France

11 février [1843], samedi soir, 8 h. ½

Je t’écris bien après mon dîner mon Toto, à cause des quinze centa mille tours que j’ai faitsb depuis. Je ne sais pas comment je m’arrange mais je trouve moyen d’être toujours en retard. Il faudra cependant que je mette un peu d’ordre à tout cela.
Tu as vu Mlle Hureau. Tu sais ce qu’elle attend de toi mon amour, et tu le feras avec ta bonté et ton obligeance habituelles. C’est une très charmante et très excellente femme à qui j’ai et j’aurai encore plus d’une obligation. Elle m’a dit que Claire était un peu souffrante d’une douleur au côté. J’espère que ce ne sera rien mais je l’ai priée si cette douleur persistait de faire venir le médecin.
Je te remercie, mon adoré, de la promesse que tu m’as faite tantôt. Par le cœur et par la conduite je justifie et au-delà ta confiance et ton estime en cette circonstance. Je saurai quand ta chère bien-aimée fille se mariera devant le bon Dieu et je m’unirai aux prières de tous ceux qui l’aiment pour appeler sur elle tout le bonheur de ce monde. Je te remercie encore une fois mon bien-aimé de me donner cette joie. Je t’aime mon Victor.
J’ai depuis tantôt une lettre de Mme Krafft que je n’ai pas décachetée. Je n’ai pas pensé à te le dire quand tu es venu. D’ailleurs Mlle Hureau était là, ce qui m’a empêchée, par parenthèse, de te donner tous les baisers que j’avais sur les lèvres et dans le cœur. Je compte m’en dédommager tout à l’heure. Mais pour cela il faut que tu viennes tout à l’heure, ce qui est peu probable, hélas. Tâche cependant, mon amour, tu me rendras bien heureuse.

BnF, Mss, NAF 16351, f. 135-136
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « cents ».
b) « fait ».

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