Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1843 > Février > 10

10 février [1843], vendredi matin, 11 h. ½

Bonjour mon cher bien-aimé. Bonjour, je t’aime. Sois béni de Dieu, comme je te bénis à tous les instants de ma vie. Sans toi, mon cher adoré, sans ton dévouement, je serais peut-être comme cette pauvre malheureuse femme que j’ai vue hier : en proie à la misère et au désespoir. Sois donc béni, mon cher bien-aimé, dans tout ce que tu aimes pour la pauvre âme que tu as tirée du gouffre où elle allait se perdre. Sois fier de ton œuvre, sois heureux de mon amour car il n’y en a jamais eu de plus passionné, de plus reconnaissant, de plus tendre et de plus pur.
J’ai à peine dormi cette nuit. Le chagrin de cette pauvre femme me poursuivait sans cesse. La dureté de cœur de sa sœur me révolte plus que je ne puis te le dire. Si tu avais pu voir et entendre cette créature, tu aurais été indigné comme moi de la sécheresse et de la dureté de ses objections. Cette femme est bien décidément une très méchante femme… Mais laissons-là cette féroce femelle [1].
Je suis sûre que c’est demain que votre Didine se marie ? Vous ne voulez pas me le dire dans la crainte que je n’aille me promener pendant ce temps-là au bois de Boulogne sans doute ? Eh ! bien vous êtes un vieux défiant ; car si je désire le savoir, c’est pour prier le bon Dieu de lui donner toutes les joies que vous lui désirez et qu’elle méritera puisqu’elle est votre fille. Vous êtes un méchant de me refuser le bonheur d’assister en prière à cette cérémonie de famille. Vous ne croyez pas la mienne nécessaire au bonheur de votre chère petite Didine mais ce qui abonde ne vicie pas, dit le proverbe, et vous auriez dû m’associer pour ce jour-là à vos émotions paternelles. Quels que soient le jour et l’heure, mon cher adoré, je fais d’avance à Dieu toutes mes prières pour que ton cher enfant soit la plus heureuse des femmes.
Tu n’auras sans doute pas de répétitions encore aujourd’hui ? Mais je n’en serai pas mieux partagée parce que tu dois avoir cent affaires plus pressées les unes que les autres. Je ne veux donc pas te tourmenter, mon cher bien-aimé. Je me réserve pour plus tard mais alors je serai sans pitié. En attendant, il faut que j’aie du courage jusqu’au bout. C’est à quoi je m’applique le plus que je peux. Si le cœur me manque quelquefois, ce n’est pas ma faute, mon bien-aimé et je compte sur toi pour me redonner des forces et de l’espoir.
Vous êtes un vilain Toto de n’avoir pas fait ma commission auprès de Didine [2]. Je suis sûre qu’elle ne vous aurait pas refusé. Taisez-vous, je ne vous crois pas. Une autre fois, je ferai mes affaires moi-même : j’irai prendre ce qu’on n’osea pas demander pour moi. Voilà ce que je ferai à votre nez et à votre barbe. Il n’y a que les zonteux qui perdent. Baisez-moi, scélérat, et aimez-moi si vous tenez à la vie et à bien d’autres choses encore. Tâchez aussi, mon amour, de ne pas me mettre trop au fond du sac aux oublis tous ces jours-ci. Pensez que je suis seule, que je vous aime et que je ne vis pas sans vous. N’est-ce pas, mon Toto, que tu ne m’oublieras pas et que tu viendras un peu tous les jours ? Je t’aime tant.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 131-132
Transcription de Olivia Paploray, assistée de Florence Naugrette

a) « ce qu’on ose ».

Notes

[1On ne sait de quelles sœurs il est question.

[2Juliette Drouet souhaite obtenir un petit souvenir du mariage de Léopoldine (voir lettre du 4 février).

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne