29 mai 1856

Guernesey, 29 mai 1856, jeudi matin, 11 h.

Me voici remontée sur mon cœur, grâce à la bonne petite soirée d’hier, mon cher petit homme, et j’espère bien ne pas vider de si tôt les arçons de la confiance et me tenir ferme sur les étriers de votre amour tout en vous aimant au galop et TROP. Je ne dirai pas que je comptais sur vous ce matin, mon cher petit homme, cependant dès que dix heures ont sonné je n’ai pas pu empêcher l’ombre de mon nez de s’allonger dans l’infini et mes lèvres de se contracter douloureusement en songeant que je ne vous verrais pas d’ici à tantôt. Maintenant je tâche de me FAIRE UNE RAISON mais j’aimerais mieux beaucoup de bonheur que toute la raison du monde. Comment as-tu passé la nuit, mon bien-aimé ? Il est un peu tard pour te le demander mais je te gribouille comme je te parlerais à l’heure et à la minute et sous la première impression venue sans m’inquiéter si ce que je te dis n’aura pas plus tard l’opportunité de la moutarde après dîner. Mais cela t’est bien égal et à moi aussi si tu m’aimes. Bonjour, mon cher adoré, bonjour, je t’aime, je suis heureuse, tâche de venir de bonne heure, mon cher adoré, et apportez-moi les lettres de M. de Rougemont ou je vous fiche des coups. En attendant je passe ma vie à vous désirer et à vous regretter avec la rectitude d’un pendule bien organisé. Taisez-vous et ne vous fichez pas de moi par-dessus le marché.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16377, f. 159
Transcription de Chantal Brière