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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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24 juillet [1847], samedi matin, 8 h.

Bonjour, mon Victor adoré, bonjour, mon cher petit homme. Je vous aime. Je suis aux expédients pour vous l’écrire car je n’ai plus du tout de papier. Je vous prie de m’en donner sans retard et surtout de me le donner un peu moins hideux que le dernier. Ce n’est pas une raison parce que je sais mieux écrire que vous pour que vous me donniez du papier graillon à travers duquel tout mon style passe en ne laissant qu’un gribouillis informe et indéchiffrable. Si c’est de la vengeance, je vous préviens que c’est bien petit et que cela compromet gravement la majesté dont vous êtes revêtu. Songez-y Toto, et revenez à de plus grands sentiments pendant qu’il en est encore temps en m’apportant du papier extra satiné aujourd’hui même. Tu ne ferais pas mal non plus d’en avoir pour tes manuscrits car il n’y en a plus une seule feuille à la maison. Je t’avertis, mon amour, parce que cela te gênera beaucoup le jour où il t’en faudra si tu l’as oublié.
Tu m’as trouvée cette nuit comme je suis chaque fois que tu ne viens pas sans m’en avoir prévenue d’avance. Il n’y a pas de raison, ni de raisonnement qui puisse empêcher cet effet physiquea d’avoir lieu. Mes deux natures ont autant besoin l’une que l’autre de ta présence adorée. J’ai besoin de tes yeux pour mes yeux, de ta bouche pour ma bouche, de tes douces paroles pour mon cœur et de ton amour pour mon âme. Je ne respire pas bien quand je ne me suis pas imprégnée de ton souffle. Je vis pour toi et par toi. Tu es ma lumière et mon soleil, ma joie et mon bonheur.

Juliette

MVHP, MS a7946
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux

a) « phisique ».


24 juillet [1847], samedi

J’espère que tu reviendras ce soir, mon Toto, malgré ton dîner et ta soirée ministériels ? J’ai fait acheter ta petite collation habituelle et je compte bien que tu viendras la manger. Songe que c’est demain dimanche et que je ne te verrai pas de la soirée. Il faut tâcher de ne pas me prendre encore celle-ci si tu ne veux pas que je sois la plus triste et la plus malheureuse des Juju. Mon Victor bien-aimé, mon Toto adoré, je veux que vous reveniez me voir cette nuit, il le faut. Je l’exige, je l’ordonne. J’ai pour vous un énorme paquet de lavande qui embaumea toute ma maison. Je ne connais pas d’odeur plus agréable dans [un courant d’air ?]. Je vais en couvrir mon lit tout à l’heure et en fourrer entre le mur et la tapisserie. Si cela ne préserve pas les meubles et les tentures des vers, cela fait sentir bon, ce qui n’est pas à dédaigner. Dieu que je suis bête avec mes réflexions dignesb de feu le marquis de La Palisse. Il faut vraiment que tu sois bien bon ou bien las de regarder en toi-même les magnifiques et sublimes pensées qui vont et viennent pour lire de pareilles niaiseries. Il n’y a que la satiété des brioches et des pâtés qui puissec faire trouver pour un moment quelque saveur au grossier pain d’orge. Je suis honteuse de ma stupidité. Je sens qu’elle gâte et qu’elle enlaidit mon amour, le plus beau et le plus pur qui ait jamais existé. Je voudrais ne jamais t’écrire et j’y reviens sans cesse, attirée par le besoin de me rapprocher en pensée de toi.

Juliette

MVH, α 7947
Transcription de Nicole Savy

a) « embeaume ».
b) « digne ».
c) « puissent ».

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