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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Guernesey, 28 juillet [18]64, jeudi après-midi, 1 h.

Je mets ta patience et ta bonté à de rudes épreuves, mon pauvre bien-aimé, avec mon hypocondrie grognonne et mon irritabilité nerveuse. Je sens que je suis insupportable et haïssable au suprême degré mais telle est la force de mon malaise que je ne peux pas m’en empêcher. Je donnerais tout au monde pour me montrer à toi telle que je suis au-dedans de moi et je souffre doublement de ne pouvoir pas le faire. Pardonne-moi mon doux adoré et ne te lasse pas d’être bon, doux et indulgent pour moi. Le moment n’est peut-être pas loin où je serai guérie de tous mes bobos, surtout si le docteur Corbin veut bien ne pas me droguer de Turc à Maure comme il le fait depuis quelque temps. Je ne l’ai pas encore vu aujourd’hui et je n’en suis pas fâchée puisque cela me donne au moins 24 heures de répit. Je viens d’envoyer payer la note du gaz par la jeune Elisabeth qui n’est pas encore revenue. Quant à ma pauvre Suzanne, son vœu de tempérance a chopéa hier contre une bouteille de vin qu’elle m’a soutirée en douceur. Il y avait déjà quelque temps que je m’apercevais des fonds de bouteilles qu’elle me subtilisait en cachette, mais hier il n’y avait plus moyen de fermer les yeux. Cela me contrarie d’autant plus qu’elle est elle-même très souffrante et que ces petits excès-là ne peuvent que lui faire plus de mal encore, sans compter la surveillance à laquelle cela m’astreint vis-à-vis d’elle, surveillance à laquelle je suis forcée d’associer Elisabeth, mes jambes ne me permettant plus d’aller et de venir, de monter et de descendre à la cave comme autrefois. Comme tu le vois, mon ineffable bien-aimé, j’ai aussi ma bonne part d’ennuis mais ce n’est pas une raison pour que je m’en décharge sur toi, au contraire. Le bien, le bon, le juste et le bonheur seraientb de te sourire à travers toutes les maussaderies de la vie. À défaut de sourire, qui n’est pas en mon pouvoir, je te donne mon âme tout entière et je te bénis.

BnF Mss, NAF 16385, f. 201
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Florence Naugrette

a) « choppé ».
b) « serait ».
c) « mon âme toute entière ».

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