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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 février [1839], dimanche après-midi, 2 h. ¼

Notre anniversaire et mon bonheur m’ont tenue éveillée presque toute la nuit, et puis j’espérais que tu allais revenir et rien n’est moins narcotique pour moi que la pensée de te revoir. Enfin tant bien que mal, et en empiétant beaucoup sur le jour, j’ai réussi à me faire une espèce de nuit dont je suis très lasse à l’heure qu’il est. Cependant je dois t’avertir que ma pendule avance de plus d’une heure et puis j’ai lu et relu, baisé et rebaisé la page où tu as écrit hier tant de bonnes et ravissantes choses en si peu de lignes [1]. Au reste, ce que tu dis dans ton langage merveilleux, moi je le dis dans mon patois, ayant pour caution et pour interprète mon âme qui t’expliquera toujours mon amour, ce qu’il veut et ce qu’il désire. Tu as donc encore travaillé, mon cher petit homme ? J’espérais que tu reviendrais cette nuit en l’honneur de nos six ans et surtouta en l’honneur de notre amour qui est plus tendre et plus passionné encore que le premier jour, du moins le mien. Mon cher petit bien-aimé, je voudrais être une grande actrice pour jouer tes rôles et puis gagner beaucoup d’argent pour passer toutes les nuits avec toi. Voilà mon ambition, la réaliserai-je jamais ? Dieu seul et les directeurs le savent. En attendant, je t’adore comme le premier jour. Je te désire et je t’attends de toute mon âme et avec toute mon impatience.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16337, f. 167-168
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette
[Souchon, Pouchain]

a) « sur tout ».


17 février [1839], dimanche soir, 7 h. ½

Je ne suis pas heureuse, mon ami, dans les bonnes intentions ni dans les anniversaires, pas plus que dans les jours de fêtes. Ce que la providence me donne d’une main, elle a le plus grand soin de me l’ôter de l’autre, pour m’alléger probablement le fardeau de la reconnaissance et pour m’empêcher de me blaser sur le bonheur en me le laissant trop longtemps.
Puisqu’il est déjà tard, mon ami, et que tu es souffrant et qu’on commence par Ruy Blas, si tu veux je resterai chez moi, à moins cependant que cela ne te contrarie et que tu aies à faire au théâtre de la Renaissance, auquel cas je suis toute prête à faire ce que tu voudras. J’espère, maintenant, avoir trouvé entièrement la cause de l’inefficacité de ton remède et comme cela ne se renouvellera plus il est probable que tu en éprouveras le même soulagement qu’auparavant. En attendant, je regrette bien vivement le malentendu qui t’a privé pendant quelques jours de ton soulagement ordinaire, mais comme je te l’ai dit, cela n’arrivera plus. À bientôt, s’il faut en croire la promesse. Je suis très mal à mon aise, aussi moi je ne sais pas à quoi cela tient car je ne suis pas enrhumée, moi, et je ne passe pas mes nuits à travailler comme toi, mon pauvre bien-aimé.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16337, f. 169-170
Transcription de Madeleine Liszewski assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Les voici : « Nuit du 16 au 17 février 1839 / Encore un anniversaire ! Voilà six ans que notre bonheur a commencé et il me semble que c’est hier. Je viens de relire toutes les pages qui précèdent celle que j’écris, je viens de repasser dans ma pensée toutes les années qui précèdent celle où nous sommes, et dans les cinq pages écrites et dans les cinq années écoulées je n’ai trouvé qu’un nom, le tien, qu’un mot, l’amour. L’amour est le rayon qui depuis six ans éclaire toutes mes pensées. Ma vie est une énigme dont ton nom est le mot. Le jour où je t’ai aimée, mon ange, j’ai compris tout. / Aimer, c’est à la fois le moyen et le but, c’est la vie et c’est le bonheur, — je t’aime ! » (Lettre publiée par Gérard Pouchain, Cinquante ans de lettres d’amour, p. 46).

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