14 avril 1873

Guernesey, 14 avril [18]73, lundi matin, 7 h.

J’ai encore manqué mon mil, mon grand bien-aimé, et je reviens bredouille de ma chasse d’amour. Ce n’est pas faute d’être de bonne heure à l’affût de ce précieux oiseau si prompt à s’envoler qu’on n’a pas le temps de le saisir au passage. Et puis ce doit être la juste punition de ma maussaderie d’hier soir. Cela m’apprendra à fréquenter les lumbagos et à m’indulger d’une forte goutte ; c’est bien fait ! Voime, voime, voime, je voudrais bien vous y voir, citoyen, rien que le temps de grimper la montagne vous m’en direz des bonnes nouvelles ! Malgré cela je ne vous le souhaite pas car j’en souffrirais encore plus pour vous que je n’en souffre pour moi-même. Oui, mon cher adoré, plutôt que de te voir le moindre bobo je préfère avec joie toutes mes misères physiques qui sont nombreuses et très méchantes parfois. J’espère que tu as passé une aussi bonne nuit que la mienne, qui a été excellente, et que tu ne me gardes pas rancune de ma mauvaise humeur involontaire d’hier soir. En attendant mon pardon je te souris, je t’adore et je te bénis.

BnF, Mss, NAF 16394, f. 101
Transcription de Maggy Lecomte assistée de Florence Naugrette