4 février 1854

Jersey, 4 février 1854, samedi soir, 4 h. ½

Je ne veux pas te priver de ma restitus mon pauvre petit homme, aussi je me hâte de t’en lâcher une telle quelle avec les pensées les plus tendres que j’aie en moi, pêle-mêle, au hasard, le cœur en bas et l’âme en l’air, à vos pieds et au-dessus de votre tête au risque que vous ne puissiez rien y démêler qu’un amour les quatre fers en l’air. Il paraît que Pierre Leroux est en train de passer à l’état de Chaumontel. Cette incarnation vishnouyenne ou vishnouyaque ne me promet pas des jours filés d’or et de luncheons à en juger par les centimètres de [illis.] que je dévide sur la bobine de la souscription leroux [1], depuis quatre ou cinq jours. Enfin, qu’à cela ne tienne, si cela peut faire le bonheur de ce quasi Dieu du circulus [2]. En attendant je fais assez brave contenance, comme vous voyez, et je ne me tire pas trop mal de la situation mélancolique dans laquelle vous me plongez sans remords. Tout cela pourtant ne m’empêche pas de remarquer avec quel^a imperturbable aplomb vous vous renfermez dans votre prudente discrétion à l’endroit de vos lettres de France et de Paris. Mais peut-être feriez vous sagement de faire quelque concession à la vraisemblance en en avouant une tous^b les trois ou quatre mois ? Ce que je vous en dis est pour la perfection de l’art. Du reste, vous en ferez ce que vous voudrez. Ce conseil une fois donné, je n’en suis pas moins votre très humble et très obéissante Juju comme devant et je ne vous en aime pas un fichtre de moins à mon grand dam et regret. Oui, je bisque, oui je rage, oui je vous adore. Taisez-vous !

BnF, Mss, NAF 16375, f. 55-56
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Chantal Brière

a) « quelle ».
b) « tout ».