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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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2 juillet [1846], jeudi après-midi, 5 h. ¼

J’étais si triste ce matin, mon cher adoré, qu’il m’a été impossible de me décider à t’écrire. Je ne voulais pas t’affliger plus tard en te faisant lire les divagations douloureuses que j’aurais écrites malgré moi. Ce soir, sans être plus consolée, j’ai plus de courage. D’abord je t’ai vu, ensuite je t’ai lu, deux choses qui ne manquent jamais leur effet sur moi. Il n’y a pas de douleur, pas de découragement qui résistent au bonheur de te voir et de te lire, et j’en ai eu la preuve bien convaincante aujourd’hui. Merci, mon adoré, merci de me l’avoir donnée. Merci d’être venu tantôt. Merci surtout d’être toi, c’est-à-dire ce qu’il y a de plus beau, de plus grand et de plus sublime dans ce monde. Je voudrais avoir de l’esprit pour un moment, le temps seulement de te dire tout ce que je sens d’admiration et d’amour pour toi. Mais le bon Dieu, bien loin de m’en prêter, se plaît à me l’ôter par tous les moyens possibles. Outre l’affreux malheur dont je suis encore brisée, il m’envoie un mal de tête singulier et hideux que je n’avais pas encore eu de cette façon. C’est une sorte d’engourdissement de toute la tête qui me porte à la somnolence et me rend stupide. J’ai beau vouloir secouer cet engourdissement, il n’en persiste que davantage. Cependant il a bien fallu qu’il cédât tout le temps que j’ai lu ton admirable mais trop beaucoup trop court discours [1]. Je l’ai lu trois fois : une fois d’abord dans La Presse, une seconde dans Le Messager puis une troisième encore dans La Presse. Si Eugénie n’était pas venue en réclamer sa part, je l’aurais relu encore une fois, non pour le comprendre et l’admirer mieux, mais uniquement par plaisir et par amour. Tu ne peux pas savoir quel bonheur c’est pour moi de mettre mon âme dans ta pensée. C’est absolument le même bonheur ineffable comme quand je mets mes lèvres sur tes lèvres et mon regard dans tes yeux. Je t’aime, mon Victor, rien ne peut te le dire autant que cela est.
Cher bien-aimé, tu me diras ce soir quand tu veux recevoir ce M. Vilain. Eugénie est venue évidemment pour cela aujourd’hui. D’ailleurs il est important qu’il ait ton avis avant que la terre ne sèche [2]. Quant à moi... Te voilà justement.

6 h. ½

Voilà mon bonheur bu tout d’un trait. Je n’en aurai plus d’autre maintenant que ce soir quand tu viendras. Hélas ! ce sera bien tard car tu me l’as dit et ces vilaines promesses-là, tu les tiens toujours trop rigoureusement. Il est vrai qu’à côté tu m’en as fait une autre toute charmante et sur laquelle je compte bien aussi, car j’ai bien besoin que tu la tiennes. En attendant, je te baise et je t’adore de toute mon âme.

28 [illis.]a Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 199-200
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) Ce mot et le nombre qui le précède ont été ajoutés d’une main différente.

Notes

[1Discours sur la consolidation et la défense du littoral (Actes et Paroles, I).

[2Juliette Drouet pose pour le sculpteur qui réalise son buste en terre cuite.

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