20 février 1873

Guernesey, 20 février [18]73, jeudi matin, 8 h. ¾

Tu n’as pas dû encore passer une bien bonne nuit, mon cher bien-aimé, si j’en juge par l’heure de ton lever ? Et ta main comment va-t-elle ? C’est ce que ne me dit pas ton cher baiser quand tu me l’envoies et mes points d’interrogation^a restent sans réponse toute la journée, ce qui est assez maussade. Enfin j’espère que ton bobo n’a pas augmenté et s’éteindra de lui-même.
J’ai pincé un froid si profond pendant ma faction que je ne peux pas me réchauffer. J’ai passé ces deux heures d’attente à revoir toutes tes factures et les miennes ainsi que mon livre de dépense mais je n’ai pas trouvé trace de la note de Valpied pour toi. J’en ai payé deux pour moi : une ancienne et l’autre toute récente ; mais aucune des deux ne se rapporte ni pour les dates ni pour le travail et la fourniture à la tienne. Donc si M^me Chenay ne l’a pas déjà payée, tu la dois. Le montant se monte à 67 [ ?] 11. À ce propos, je te fais souvenir que je n’ai pas d’argent depuis longtemps ; que celui de Suzanne est presque dépensé et que la Broisine doit venir m’en demander demain vendredi, pour son marché de samedi. Tâche de prendre sur toi d’aller demain, c’est-à-dire aujourd’hui, à la Banque pour nous tirer toutes de l’embarras du manque d’argent.
Un drôle de gribouillis ce matin, mais je n’ai que ce moyen de communiquer avec toi pour toutes ces choses, je l’emploie en y fourrant pêle-mêle l’amour et la comptabilité et je fais marcher du même pas mes pattes de mouche et la jambe boiteuse de la Broisine, la tête de veau et mon cœur à la même sauce.

BnF, Mss, NAF 16394, f. 49
Transcription de Maggy Lecomte assistée de Florence Naugrette

a) « interrogations ».