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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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17 juin 1846

17 juin [1846], mercredi matin, 8 h.

Bonjour mon aimé, bonjour mon Victor, bonjour mon âme, tout ce qu’il y a de plus beau, de plus doux, de plus grand et de meilleur en ce monde. Bonjour, je t’aime. La nuit a été bonne et la matinée jusqu’à présent n’est pas mauvaise. Mais combien ce calme durera-t-il et qu’est-ce que cela prouve ? Le médecin [1] de M. Pradier n’est pas venu hier. Je pense qu’il l’amènera peut-être lui-même ce matin. [Plusieurs mots illisibles] il me tarde que cet homme l’ait vue. Il me semble [si impossible  ?] que cette pauvre enfant me soit enlevée, que je cherche autour de moi un moyen de lui rendre la santé. Il y a des moments où je voudrais être somnambule pour trouver le remède qui peut sauver cette pauvre bien-aimée. Elle m’a fait lire tout de suite hier ce que tu lui avais écrit. Sa pauvre petite figure rayonnait pendant ce temps-là de joie et de bonheur. On aurait dit qu’elle se transfigurait. C’est un de tes doux privilèges, mon divin bien-aimé, de consoler tous ceux qui souffrent, quelle que soit leur souffrance, avec un mot pris dans ton cœur.

9 h.

Je viens d’avoir la visite de M. Pradier et de son médecin. Le sort en est jeté. Je vais essayer de cette médecine quoique le médecin ne soit rien moins que rassurant de toute sa personne. Son charabia sent le saltimbanque et l’avaleur de sabre à faire frémir, et quand je pense que je lui confie ma pauvre fille pour quelques jours, j’en suis épouvantée. Cependant, si l’imagination peut entrer pour quelque chose dans l’efficacité du remède, il est certain que Claire doit [seconder  ?] merveilleusement les remèdes mystérieux de ce Cagliostro-Macaire [2], car il est impossible d’accueillir avec plus de confiance et de bonheur ce docteur aventurier. Il doit revenir avec le père vendredi matin. Pourvu que d’ici là mon pauvre enfant n’aille pas plus mal. Ô s’il pouvait la guérir, avec quelle joie et quelle reconnaissance je le proclamerais le plus savant, le plus habile et le plus merveilleux des médecins présents, passés et futurs. Mais, hélas ! j’en doute et je me reproche déjà cet essai qui ne doit pourtant rien compromettre selon l’opinion des deux autres médecins. J’ai ma pauvre tête toujours bien malade, mon Victor adoré, mais j’ai le cœur toujours plein de toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 163-164
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette
[Siler]


17 juin [1846], mercredi après-midi, 3 h. ¼

Est-ce qu’il est possible vraiment que je ne te voie pas encore aujourd’hui ? Plus j’y pense et plus je consulte mon pauvre cœur, et moins je peux m’habituer à l’idée de ne pas te voir tout à l’heure. Après l’effroyable journée d’hier vraiment c’est trop de tristesse et de chagrin à la fois. Il faut que je te voie, mon doux aimé, il faut que je reprenne des forces et du courage. Pour cela il faut que je te voie, mon ravissant petit homme. Il faut que je te conduise le plus loin possible aujourd’hui. J’ai Eugénie à la maison et puis j’ai adopté l’usage du bassin depuis hier, ce qui me permettra de m’absenter quand tu viendras, tant que cette chère enfant ne sera pas plus mal qu’aujourd’hui : à part la transpiration elle va bien, mais cette suerie continuelle la tue. Je lui ai fait sucer sa côtelettea tantôt et tout à l’heure je lui donnerai sa fameuse cuillèrée d’eau filtréea, et plus tard un peu de semoulec. Je compte dire ce soir au médecin l’essai que je fais, afin qu’il ne regarde pas cela comme un mauvais procédé quoiqu’il ne m’en ait jamais dissuadée, au contraire. Jusqu’à présent tout va bien, c’est-à-dire qu’elle est calme grâce à ce qu’on ne l’a pas remuée du tout. Il faudra pourtant bien faire son lit un jour ou l’autre. Je ne veux pas aller au devant du mal, c’est déjà trop de l’évidence que celle-là. Mon Victor bien-aimé, j’espère que tu viendras. Tu m’as laissée hier sous trop d’impressions douloureuses pour ne pas faire tous tes efforts pour venir. Je t’attends avec confiance, persuadée que cette confiance me portera bonheur. D’ici-là je vais passer une robe pour être prête à t’accompagner sans te faire attendre. Mon Victor adoré, mon cher petit homme, mon doux aimé, mon généreux cœur, mon Toto ravissant, je t’aime.

[JJ  ?]

BnF, Mss, NAF 16363, f. 165-166
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « cotellette ».
b) « philtrée ».
c) « semoulle ».

Notes

[1Doroszko, médecin homéopathe de James Pradier.

[2Robert Macaire, personnage théâtral de bandit, dans le mélodrame de 1823 L’Auberge des Adrets, popularisé par son créateur Frédérick Lemaître. Le comte de Cagliostro, mystérieux aventurier italien du XVIIIe siècle, médecin et alchimiste qui parcourut l’Europe en se faisant passer pour un miraculeux guérisseur.

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