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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 avril 1836

7 avril [1836], jeudi midi.

Je t’écris, contrairement à mon habitude, après déjeuner, mais, mon cher bien-aimé, j’avais la tête et les yeux hors d’état de faire leur service. Et que dans une lettre d’amour, il ne suffit pas que le cœur soit à son poste, il faut encore que les yeux guident la main qui écrit.
Après la triste soirée d’hier, après les bonnes et douces paroles que tu m’as dites avant de me quitter, il me semble bien que je dois être corrigée à tout jamais de ma violence et de mes emportements. Et cela est vrai et sera plus vrai encore à l’avenir, car je veux être tout à fait bonne et digne de la tendre compassion que tu m’as témoignée cette nuit.
Bonjour, mon cher adoré, vous voyez bien que j’étais très laide ce matin et que cela m’a fait de la peine que vous me voyiez avec les yeux pochés et la figure encore luisante de pleurs. Mais en même temps j’ai éprouvé une si grande joie au cœur que, ma foi, je m’en fiche. Je n’ai plus aucune pitié de la laide et je fais cause commune avec l’amoureuse.
Bonjour, je t’aime. Je suis bien encore un peu triste mais c’est de regret. J’ai aussi beaucoup de chagrin du refus de M. Châtillon quoique je ne le regarde pas encore comme définitif et que je te prierai de faire consciencieusement et avec la volonté de réussir de nouvelles tentatives pour obtenir ton portrait, sans lequel je serai toujours triste et abandonnée chaque fois que tu ne seras pas auprès de moi.
Cher bijou bien aimé, je vous aime, moi ; je vous suis fidèle, moi ; je suis bien honnête et bien polie dans mon amour, allez. Vous ne saurez jamais jusqu’où vous êtes bien bête et bien méchant à votre tour si vous en doutez, et vous devriez vous donner à vous-même des fameux coups de poing, ce ne serait que justice.
Il fait un temps très noir et très maussade au-dehors mais il fait très beau soleil dans mon cœur. Je vous aime. Je ne peux pas ne pas vous aimer, maintenant battez-moi si vous voulez. Je vous adore mon Toto.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16326, f. 276-277
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa


7 avril [1836], midi et ½, jeudi

Celle-ci est une lettre de rabibochage quoiqu’en conscience, je ne vous doive rien, car si vous y aviez bien tenu, il vous était bien facile d’empêcher l’incendie. Aussi n’est-ce pas vous que je ramiche [1], c’est moi, moi qui ai besoin de vous écrire toujours, moi qui ai sans cesse votre pensée dans le cœur et votre nom sur les lèvres, moi enfin qui vous aime comme une pauvre femme insensée, dont la seule idée fixe est l’amour.
Voyez-vous, mon Toto chéri, quand je ne vous ai pas donné mon contingent de pattes de mouches, je ne suis pas à mon aise, il me manque tout l’amour que je ne vous ai pas donné en mots, il me manque le bonheur et la joie d’écrire votre nom adoré de toutes les manières et avec toutes les dénominations amoureuses que je connais. Voilà pourquoi, mon cher Toto bien aimé, je vous écris aujourd’hui les lettres que vous n’avez pas lues hier.
Je vous aime tant, mon Victor adoré, que j’en suis méchante comme une LOUVE. Je vous aime tant, mon cher petit homme, que j’en suis folle à lier.
Il faut me plaindre et ne pas m’en vouloir. Il faut me museler avec des baisers et m’enchaîner avec des caresses pour venir plus facilement à bout de moi. Il faut m’aimer encore plus et alors vous verrez que la louve deviendra mouton et que la folle restera folle, ce qui n’est pas une grande maladie en amour.
Cher bijou, je vais bien me bassiner les yeux pour que vous les trouviez bien bons et bien doux quand vous viendrez.
Je t’aime toi. JE T’AIME. JE T’.... Si je vous le disais aussi haut et si je vous l’écrivais aussi grand que je vous aime j’assourdirais le monde et il n’y aurait pas assez de place pour le mot entre le ciel et la terre.

J.

BnF, Mss, NAF 16326, f. 278-279
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa
[Guimbaud, Massin]


7 avril [1836], jeudi soir, 9 h. moins 10 m.

Sans doute, c’est le plus grand bonheur que je puisse avoir quand vous n’êtes pas auprès de moi, mon chéri, de vous écrire, mais j’aimerais mieux vous avoir et ne jamais vous écrire. Un seul mot, voilà mon vrai goût. Et puis fâchez-vous si vous le voulez.
Oui, mon cher petit Toto, au lieu de gribouiller de l’amour cul par-dessus tête dans mon encrier, j’aimerais mieux me trifouiller pêle-mêle avec vous. Mais à quoi servent mes désirs, mes goûts et mes préférences ? ne faut-il pas que j’attende votre loisir, lequel n’arrive jamais que le plus tard possible et s’en va aussi tôt qu’il est venu ? Et vous avez le front de me dire que vous m’aimez plus que je vous aime ! Enfin…
Moi, je t’aime, entends-tu ? je t’aime. Et je m’en vante. Tu feras tout ce que tu voudras, tu diras toutes les absurdités qui te passeront par la tête, c’est comme cela : je t’aime. Je voudrais bien que tu aies dans ce moment un grain du désir qui me brûle pour te voir arriver un peu plus vite et pour nous aimer à bouche que veux-tu. Je serais bien heureuse et bien GEAIE, et je vous ferais toutes sortes de bonnes caresses, et je vous dirais toutes sortes de choses plus douces les unes que les autres. Mais il faut que vous soyez là.

Juju

BnF, Mss, NAF 16326, f. 280-281
Transcription d’André Maget assisté de Guy Rosa
[Souchon, Massin, Blewer]

Notes

[1« Ramicher son camarade : lui rendre une partie de ce qu’on lui avait gagné, pour le mettre en état de s’engager dans une nouvelle partie. » (Dictionnaire du bas-langage ou Des manières de parler usitées parmi le peuple, D’Hautel, Paris, 1808, t. 2, p. 286)

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