Paris, 1er avril [18]77, dimanche soir, 1 h. ½ [1]
Sauf votre respect, monseigneur, vous êtes déjà en retard de cinq minutes sur votre promesse de tout à l’heure ; ce que voyant, je prends le parti, au lieu de croquer le marmot [2], à défaut d’autre chose, en vous attendant, je vous baille ma restitus caniche ou canine, comme vous voudrez, car les deux se disent dans le patois des toutous et des toutoutes.
2 h. ¾
Il me reste peu de choses à faire pour remmailler mon cher gribouillis si heureusement interrompu par toi il y a une heure. Je n’ai qu’à te dévider mon amour d’un bout à l’autre, sans en rompre le fil jusqu’au dernier mot, pour accomplir ma tâche de tous les jours, tâche douce entre toutes et dont je ne me lasse jamais. Que n’en puis-je dire autant du temps orageux d’aujourd’hui, lequel me fatigue et m’énerve au-delà du possible. Dans ce moment-ci même je ne sais plus que devenir tant je suis agacée. J’ai beau commander à mon âme de déverser dans la tienne le trop-plein de mon amour, je ne peux parvenir à en faire baisser le niveau qui me submerge des pieds à la tête. Ma foi tant pis, je me laisse faire puisque je ne peux ni ne veux l’empêcher. Le bonheur, c’est de t’aimer ; la vie, c’est d’être aimée de toi. M’aimes-tu ?
BnF, Mss, NAF 16398, f. 92
Transcription de Guy Rosa