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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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28 mai 1846

28 mai [1846], jeudi matin, 8 h.

Bonjour mon Victor chéri, bonjour mon cher petit homme bien-aimé, bonjour. Comment vas-tu ce matin ? As-tu bien dormi cette nuit ? Ici nous allons assez bien à la toux près. Quant à moi, je possède ma courbature complètea et je pense avec terreur au moment où il faudra me relever tout à l’heure. Heureusement que lorsque je te verrai mes jambes se dresseront d’elles-mêmes pour aller au devant de toi et te suivre jusqu’aux Invalides si tu as le temps d’aller jusque là. Hier, après t’avoir quitté, j’étais si peu dans mon assiette que je voulais me mettre dans mon plat et y rester jusqu’à ce que tu repasses par là, mais le souvenir de ta chère petite lettre qui m’attendait à la maison m’a redonnéb des jambes et je suis revenue à bride abattue dans l’espoir de la trouver. Le facteur n’avait pas été aussi pressé que moi, ce qui fait que je ne l’ai euec qu’au moment du dîner. Cher adoré, mon Victor, mon ravissant petit homme, j’ai le cœur plein d’adoration. Je voudrais baiser tes pieds. Je voudrais mourir pour ton service. J’espère que je te verrai ce soir, l’Académie finit assez tôt il me semble ? Et puis tu sais combien j’ai besoin de te voir et tu es si bon que je suis sûre que tu feras tous tes efforts pour me donner cette joie aujourd’hui. J’y compte de toute ma confiance en toi et de tout mon amour pour toi et je t’attends ce soir.
Claire dort dans ce moment-ci. Elle a un peu toussé ce matin mais la nuit a été bonne. Toutes ces oscillations de mieux et de mal m’empêchent de ressentir la joie qu’on a ordinairement quand on croit un malade sauvé. Il est vrai que la malheureuse enfant est loin d’être hors de danger. Il faut toute la puissance de mon amour pour soutenir mon courage en présence d’une aussi triste maladie. Chaque fois que le cœur me manque je pense à toi et je sens la force qui revient comme si on me la versait goutte à goutte. Sois bénid mon Victor chéri pour tout le bien que tu me fais. Sois heureux de mon amour car il est bien entier à toi. Je te baise de toutes mes forces.

Ju

BnF, Mss, NAF 16363, f. 97-98
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

a) « complette ».
b) « redonner ».
c) « eu ».
d) « bénis ».


28 mai [1846], jeudi après-midi, 3 h. ½

Je t’écris de bonne heure, mon bien-aimé, pour que tu aies ton compte de gribouillis quand tu reviendras tout à l’heure et surtout pour me faire plaisir à moi-même et me faire prendre patience en t’attendant. J’ai levé ma fille déjà et tout à l’heure je la relèverai pour la seconde fois. Le médecin qui l’a vue assise en a été content. Son père est venu ce matin un instant comme d’habitude. Du reste il n’a rien dit qui vaille la peine d’être retenu.
Je vais donc te voir tout à l’heure, Mon Victor adoré, je sens déjà que les forces reviennent dans mes jambes et la joie qui chante dans mon cœur. Je ne veux pas supposer aucune mauvaise chance. J’aime mieux croire que tu viendras, il me semble que cela me portera bonheur et déjà cet espoir est du bonheur. Jour Toto, jour, mon cher petit o. Je vous aime. J’ai fait reporter mon plat à Paris aujourd’hui par Suzanne qui avait bien besoin d’aller à la maison. Ici il m’embarrassait et on l’aurait cassé et j’y tiens parce que nous l’avons acheté ensemble. Tout ce qui me vient de toi me semble chose sacrée. Seulement vous êtes une bête de ne m’avoir pas donné mes 23 F. d’anciens que vous me devez une autrefois. Je ne vous ferai plus crédit parce que vous êtes mauvaise paie. Voime, voime, avec cela que ça m’avancera à grand chose. Pendant ce temps-là le petit carton, le petit sachet, la petite ficelle rose et le petit machin s’en iront et j’en suis pour mes frais et de bonne foi et de pêche à la..... ligne. Taisez-vous. Ça vous fera mal de parler avec le piquant que vous avez dans la geule. Taisez-vous. Je vois des gros nuages noirs bien menaçants mais je sais que tu n’as pas peur et quant à moi je ne crains rien de ce côté-là. Aussi, mon cher petit homme de mon âme, je t’attends avec confiance et je t’aime de toutes mes forces pour te faire venir plus vite. Ce temps accable ma pauvre fille et lui donne mal à la tête. Elle tousse beaucoup dans ce moment-ci. Peut-être ne la relèverai-je pas car elle est bien fatiguée. Mon Dieu, quand donc serai-je hors de toute inquiétude à son sujet ? Je ne veux pas t’attrister pour les derniers mots. Je t’aime mon Victor, tu es ma vie.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16363, f. 99-100
Transcription de Marion Andrieux assistée de Florence Naugrette

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