Guernesey, 30 octobre 1861, mercredi matin 7 h.
Bonjour, mon doux adoré, bonjour à cœur que veux-tu, bonjour, que Dieu te bénisse et nous fasse vivre et mourir ensemble et soude à jamais pour toute l’éternité nos deux âmes l’une à l’autre.
J’espère que tu as passé une meilleure nuit que moi, mon cher petit homme, ce qui ne t’aura pas été difficile pour peu que tu aies seulement dormi quelques minutes. Du reste je ne souffre pas, si ce n’est d’un peu de mal de tête ce matin. Mais je compte sur mon cher petit travail pour le dissiper. Je viens de mettre l’adresse dans la lettre d’Agricol Perdiguier et Suzanne en allant chercher de l’eau la mettra à la poste [illis.]. Tu as vu avec quel art hier Kesler t’a posé la candidature de Jeanne Deroin, aspirante raseuse, sous le patronnage de Mme Engelson qui ne demande pas mieux que de favoriser ce genre d’industrie à la tire. Je ne désespère pas de te voir interpellé prochainement à ce sujet soit par elle-même soit par Quesnard [1] ou le bon Papa-Lapin [2] grippe-sou pour lui et prodigue des livres des autres. Quant à moi, j’ai bien envie de me mettre sur les rangs, ne fût-ce que pour barrer le chemin à cette nombreuse cohue de raseurs de tout genre, en vous rappelant que vous me devez une truelle à poisson avec sa fourchette en argent et des couteaux à dessert. Le terme était la vente de votre livre. Votre livre est vendu : il me faut mon argent…erie ou la mort, choisissez !
BnF, Mss, NAF 16382, f. 139
Transcription de Florence Naugrette