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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Jersey, 16 septembre 1854, samedi matin, 11h. ¼

Bonjour, mon doux bien-aimé, bonjour l’âme de mon âme, bonjour je t’aime.
Voici le corbillard de cette pauvre femme [1]……
J’étais en train de m’indigner contre la turbulente et cynique curiosité de ce peuple jersiais que rien n’arrête et n’intimide, pas même la lugubre majesté de la mort, lorsque est arrivée la belle-sœur de Guay. J’ai profité de sa visite pour payer les souliers du jeune Victor [2]. C’est le moment, plus que jamais, de ne pas les faire attendre après leur argent car les pauvres gens en sont fort à court. En voyant tant d’honnêteté et de courage, et si peu de bonne chance, on regrette de n’être pas riche pour venir au secours de cette pauvreté laborieuse et digne. Du reste ils ne demandent rien que du travail. Demain je tâcherai de faire comprendre aux braves Asplet [3] qu’il faut qu’ils leur trouvent des pratiques. En attendant, mon cher bien-aimé, je me fais de la joie aujourd’hui avec la pensée de mon bonheur de demain. Suzanne profite de mon enthousiasme pour mettre les petits plats dans les grands et pour m’entraîner dans des dépenses folles, au risque de me faire manger du pain sec tout le reste du mois. Son ardeur l’emporte jusqu’à en mettre de sa poche. Il est vrai que son instinct de contradiction y est pour beaucoup plus que sa générosité. Malgré ton brahminisme, malgré ma défense formelle, elle a acheté de son argent et à ton intention un homard ! Ce n’est pas la première fois qu’elle nous fait de ces galanteries à rebrousse poil. Aussi je les subis sans m’en étonner et surtout sans lui tenir compte de l’intention [4].
Il paraît que le packet a amené beaucoup de voyageurs si j’en juge d’après la quantité de malles et de sacs de nuit qui surchargent les fiacres qui passent. Cela ne me promet pas tout plaisir pour la recherche d’un nouveau logis ni poire molle [5] pour notre bourse. Enfin tout sera pour le mieux si tu m’aimes et si tu n’aimes que moi quelque part que je sois.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 303-304
Transcription de Chantal Brière

Notes

[1Il s’agit probablement de la Babot, dont Juliette décrivait l’agonie dans de précédentes lettres ?

[3Les deux frères Philippe Asplet et Charles Asplet sont amis avec Victor Hugo.

[4Comme dans la lettre précédente, ce feuillet est également déjà utilisé et comporte la phrase suivante : « - à quoi songeaient les deux cavaliers dans la forêt », titre d’un poème des Contemplations daté d’octobre 1853 mais dont le manuscrit porte la date du 11 octobre 1841.

[5Selon Pierre Larousse, ne pas promettre poires molles signifie faire des menaces, faire entrevoir un avenir rigoureux.

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