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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 juillet 1854

Jersey, 23 [juillet 1854], dimanche après midi, 4 h.

C’est triste à dire, mon cher adoré, mais je n’aime pas quand tu me fais ces courtes apparitions dans la journée parce qu’elles sont toujours un mauvais signe pour le bonheur du reste de la journée. Cependant, si tu ne dois pas venir le laps de temps sur lequel j’espère tous les jours, il vaut encore mieux une courte entrevue que rien du tout, c’est vrai, mais c’est triste. Enfin, mon pauvre petit bien-aimé, il est bien difficile pour toi de contenter la Juju et les colonels italiens en même temps, comme tu vois. Je n’ai pas eu le temps de vous baiser et encore moins de vous demander des nouvelles de votre nouveau compomium [1]. Mais il me semble que si vous aviez réussi vous vous seriez hâté, toute préoccupation cessante, de me le dire pour confondre mon incrédulité. J’aime à croire que vous en êtes pour vos frais de blanche et de noire ; et quant à la ronde elle sea sera naturellement réfugiée dans la bosse harmonieuse de Guérin. Si je me trompe, vous n’en triompherez que plus impitoyablement tout à l’heure. En attendant j’ai l’air de me ficher de vous à triples croches. Vos bécarres ont l’air d’avoir le Do scié et vos dièses ont perdu leurs clefs, tout cet amal…gamme ne saurait me faire perdre la mesure malgré le temps qu’il fait aujourd’hui. J’espère que vous n’en rirez pas moins de concert avec moi au risque de me dire : qu’est-ce que tu me chantes ?
Hélas ! je ris de mon malheur comme les têtes de moutons. Cette manière de dissimuler mon embêtement ressemble un peu au plaisir des bourgeois qui se mettent un faux nez à moustache en carnaval. Pour n’être pas en carton le mien, de nez, n’en estb pas moins mélancolique et ma jubilation tout aussi folâtre que celle du Turc fumant dans une pipe sans tabac sur la voie publique toute la journée du mardi-gras et par un froid de 28 degrés centigrades. Il est vrai que je te connais, beau masque, ce qui ne m’empêche pas d’être intriguée tous les jours par vous pour savoir ce que vous faites, où vous êtes et qui vous aimez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16375, f. 245-246
Transcription de Chantal Brière

a) « ce ».
b) « n’est ».

Notes

[1D’après Pierre Larousse, « appareil qui, appliqué à un orgue mécanique, variait automatiquement les airs que l’on exécutait ». Son invention date de 1820.

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