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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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3 janvier [1843], mardi 11 h. ¼ du matin

Bonjour mon Toto bien-aimé ! Bonjour, comment vas-tu ? Comment m’aimes-tu ? Moi je vais bien et je t’aime de toute mon âme. Je désire que l’affreux petit nuage qui a passé hier sur mon bonheur ne revienne pas et qu’il ne cache pas une tempête prochaine. Enfin, pour parler sans métaphore, sur laquelle je ne suis rien moins que ferrée, je désire que cette mauvaise humeur que tu avais hier ne soit pas le résultat d’un ennui et d’un éloignement insurmontable pour moi. Ce qui expliquerait, du restea, cette susceptibilité excessive qui jusqu’à présent me paraît inexplicable. Mais tout ce que je peux te dire, mon amour, c’est que je ne renouvellerai plus cette mauvaise plaisanterie qui t’a offensé : maintenant, embrassons-nous et tâchons, chacun de notre côté, toi, de croire que tu m’aimes comme autrefois et moi de croire que mon amour ne t’est pas à charge et pas insupportable et nous serons tous les deux très heureux.
J’ai envoyé les livres à Madame Franque. J’ai reçu une lettre de Mme Krafft que j’ai ouverte parce que je voulais savoir si elle me disait qu’elle viendrait dîner aujourd’hui, ce qu’elle a fait en effet. Je l’attends ce soir. Peut-être conduira-t-on Claire chez son père aujourd’hui si on est sûr de le trouver, sinon ce sera pour demain. Mme Lanvin trouve, avec raison, que, dérangement pour dérangement, il vaut mieux prolonger une demi-journéeb de plus son congé que de l’interrompre au milieu de son travail. Il est convenu qu’elle ne sortira pas auparavant un mois encore si on est très content d’elle [1].
Tu es sans doute à ta répétition [2] mon cher bien-aimé. Je désire bien que tu en rapportes plus de contentement et plus de sécurité pour ta pièce que tu ne l’as fait jusqu’à présent. Et s’il faut pour ça sacrifier ma tranquillité, si peu tranquille d’ailleurs, pour assurer la tienne et pour que rien n’entrave le succès de ta pièce. D’ailleurs j’ai la conviction qu’aucune précaution n’empêche une trahison quand on n’est pas aimé de l’homme qu’on aime. Ainsi donc à la grâce de Dieu.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 7-8
Transcription de Olivia Paploray, assistée de Florence Naugrette

a) « que du reste ».
b) « demie journée ».


3 janvier [1843], soir, 4 h. ¾

Voici la nuit, mon cher amour et je t’attends toujours. J’espère que tu viendras bientôt, en sortant du théâtre, n’est-ce pas mon adoré ?
Eulalie est venue apporter tes deux dernières chemises, mais je n’ai pas pu la payer et pour cause à toi connue. Du reste elle reviendra apporter un caleçona que je lui ai donné à faire lundi ou mardi prochain. Je lui ai parlé de sesb prix, elle m’a paru ne pouvoir pas, ou ne vouloir pas rien diminuer. Je lui ai montré pour comparaison les gilets de la mère Pierceau et mes chemises peignoirsc mais j’avoue, à ma honte, que mon point de comparaison était mal choisi et qu’elle m’a battue avec mes propres armes et qu’elle m’a démontré clair comme le jour que chemises et gilets étaient, en terme de l’art : bousillés. Enfin, mon cher ange, tu feras ce que tu voudras lorsque je t’aurai expliqué le fort et le faible de la mécanique.
Mme Lanvin n’est pas venue chercher Claire : ce sera pour demain je l’espère. J’attends Mme Krafft tout à l’heure et j’ai envoyé tes livres à ces dames qui en sont ravies. Je n’ai pas beaucoup de peine à le croire.
Je voudrais bien te voir mon cher ange. J’ai un tas de choses à te dire et une foule de caresses et de tendresses à te donner. La répétition doit être terminée et archi-terminée et je voudrais bien savoir que tu es en route pour venir me voir. Je vous aime trop mon pauvre Toto, je le sais sans pouvoir m’en corriger. Je commence à croire que je mourrai dans l’impénitence finale.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16351, f. 9-10
Transcription de Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « calçon ».
b) « ces ».
c) « peignoires ».

Notes

[1Claire Pradier est au pensionnat de Saint-Mandé, tenu par Mlle Hureau et sa sœur Mme Marre. Les Lanvin accompagnent Claire tous les quinze jours chez Juliette Drouet.

[2Répétitions des Burgraves.

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