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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Paris, 21 juillet [1880], mercredi soir, 2 h. ½

Puisque j’ai eu la bonne fortune de délivrer des griffes d’un chat qui l’allait manger un pauvre petit oiseau le jour de ta fête, je demande à Dieu en échange de ce petit bienfait qu’il m’accorde de me délivrer aussi des défauts qui te choquent en me donnant en même temps les qualités qui te plaisent ; je voudrais l’espérer. Malheureusement je crains que cela ne soit pas possible, ma nature étant donnée. Enfin j’éprouverai, comme on dit à Guernesey. En attendant, j’ai reçu de Mme Chenay pour toi un mot très tendre et une petite fleur image très gentille, elle paraît croire que nous irons cet automne à Hauteville House. Ne la désabusons pas. Peut-être, d’ailleurs, irons-nous. Je ne vois pas ce qui pourrait t’en empêcher si tu le voulais. Dans tous les cas il n’y a pas de mal à le désirer chacun de notre côté. Ci-joint le compte de ce qu’a déjà coûtéa ta fête [1]. D’où il résulte que tu dois, pour parfaireb mes comptes avec la cuisinière, me donner aujourd’hui 73 F. 60. Tout cela n’est pas fait pour te monter l’imagination [2], surtout quand tu me compares aux femmes charmantes qui t’adulentc quand moi je ne fais que t’aimer.

Repris à 4 h. du soir.

Cher bien-aimé, pendant que tu présidesd la commission de secours aux administrés, moi je reçois pour toi de ta princesse [3], non des bouquets à Chloris [4], mais un oranger de mince taille. Je profite de l’occasion, tout en la remerciant à ton nom, pour l’inviter à dîner lundi prochain, 26, ainsi que son prince de mari et son beau-frère non moins prince mais non moins archevêque. Ai-je bien fait cher maître ? « Oui grosse Juju ». Réponse non payée. À propos de payer, j’ai cru devoir donner trois francs au porteur de l’arbre princier de ta part. Ai-je encore bien fait ? L’avenir, un avenir prochain, je l’espère, me l’apprendra. En attendant je vois que la séance est bien près de finir car beaucoup de monde qui, en voiture, qui, à pied, s’en vont chacun de leur côté. Je ne me suis pas trompée puisque te voilà. Quel bonheur ! Je ne sais plus où j’en suise mais je m’en fiche puisque je t’aime par-dessus les princesses et les moulins. Quant à la promenade, je ferai ce qu’il te plaira. Nous sortirons si tu veux, nous resterons si cela te convient. Pourvu que je sois au plus près de toi et de ton cœur le reste m’est égal. Donc, mon grand petit homme, ne te gêne pas pour m’imposer ta volonté à présent comme toujours, adesso e sempre [5]. Attrapé ! Tel est mon polyglottisme.

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF 16401, f. 196-197-198
Transcription d’Emma Antraygues et Claire Josselin

a) « à déjà coûter ».
b) « par-faire ».
c) « adules ».
d) « préside ».
e) « ai ».

Notes

[1Fête patronale de Victor Hugo.

[2Citation de Ruy Blas.

[3Mme de Nar-Bey, princesse de Lusignan, est leur propriétaire.

[4Chloris : nymphe des plantes, épouse de Zéphyr. Le terme peut aussi désigner une petite pièce de vers galante.

[5Adesso e sempre (italien) : maintenant et toujours.

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