6 mars 1880

Paris, 6 mars 1880, samedi matin, 7 h. ¼

Dors, mon cher bien-aimé, pendant que mon âme te berce, et appelle autour de toi tous les beaux rêves de notre jeunesse. Dors, je te chéris, et je te bénis. Il faudra que je te rappelle encore et toujours l’ennui des lettres à répondre. Demain, dimanche, tu n’as pas de Sénat, et Lesclide pas de Louvre. [1] Ces deux loisirs pourraient se combiner, si tu le voulais, en un travail forcé toute la journée qui mettrait à jour le fouillis des lettres à répondre. Mais le voudras-tu ? Thas is the question à laquelle l’écho répond par un zut prolongé. Quoi qu’il en soit, je me fais un devoir de cette scie [2] quotidienne, mais inutile, c’est tout ce que je veux faire pour ton service.
Autre guitare, une nouvelle note du fumiste qui a démoli la cheminée de la bibliothèque il y a un mois, elle se monte à 30 F. sauf la réduction, probable, que fera Robelin quand il l’aura examinée. D’autre part, c’est aujourd’hui le jour argent pour la maison, sans compter l’arriéré de ton anniversaire :
Une corbeille de fleur 15 F.
La veille, quatorze glaces en petits pots à la fraise 17 F.
Deux livres de raisin 6 F.
Petits fours et bonbons 26 F.
Douze carafes^a frappées en deux fois 12 F.
Je ne parle pas d’un pâté de trente francs et des truffes pour la cuisine ce jour-là et des pourboires^b donnés pour les bouquets envoyés et que j’ai payés sur l’argent de la maison ainsi que les voitures au Sénat. Total 61 F.
Je te le dis ici pour m’épargner l’ennui de t’en parler à bout portant. J’aime mieux cela.

[Adresse]
Monsieur Victor Hugo

BnF, Mss, NAF 16401, f. 67
Transcription de Blandine Bourdy et Claire Josselin

a) « caraffes ».
b) « pourboire ».