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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 février [1838], lendemain de notre anniversaire

Je suis au désespoir. Je viens de m’apercevoira qu’à force de préoccupationb, j’avais laissé échapper notre anniversaire. Cependant je ne pense pas autre chose depuis que nous sommes entrés dans ce mois-ci comme tu as pu t’en apercevoira dans ma lettre du 1er février. Ne penser qu’à cela, n’avoir que cela dans la tête et le laisser échapper juste au moment. Mon Dieu, que je suis malheureuse. Pour rien je m’en irais au bout du monde. Rien ne me suffit. Je passe ma vie à aimer, à penser à mon amour et l’excès même de cette préoccupationb fait que je manque la seule chose au monde qui m’intéresse, l’anniversaire de notre amour. Je crois que je suis bien prèsc de perdre la tête. Je souffre dedans des mauxd inouïs. Mon Dieu, quelle passion que la mienne et qu’il est triste de t’aimer autant. Tu es bien coupable, toi dont l’amour n’altère pas la mémoire, de ne m’avoir rien dit hier. Merci, va. Je souffre aujourd’hui, merci. Depuis cinq ans ce n’est pas la première fois et par ta faute. Je suis bien malheureuse, mon Dieu.

J.

BnF, Mss, NAF 16333, f. 81-82
Transcription de Marie Rouat assistée de Gérard Pouchain
[Souchon, Massin, Pouchain]

a) « appercevoir ».
b) « préocupation ».
c) « prêt ».
d) « mots ».


18 février [1838], lendemain de notre anniversaire

Je viens de t’écrire je ne sais quoi. Ou plutôt je viens d’exhalera en cris de douleur le moment perdu de notre anniversaire. J’ai bien besoin que tu me consoles. J’ai bien besoin que tu me rassures. Je crains que cet oubli, qui vient de trop penser, ne nous porte malheur. Je souffre, mon bien-aimé. Et pour peu que tu pousses la cruauté, quand je te verrai, jusqu’à m’attribuer à indifférence ce qui vient de l’excès de mon amour, je serai bien malheureuse et capable de me porter à quelque triste extrémité car rien ne sera plus injuste ni plus cruel. Enfin je suis malheureuse, voilà le fait. Je n’espère pas que tu seras bon et généreux avec moi quand je te verrai tantôt. Tu ne m’as pas habituée à te trouver compatissant pour des mauxb cependant bien rudes et bien difficiles à supporter. Je tâcherai de supporter ce nouveau choc avec courage. Mon Dieu, je souffre trop. Je t’aime trop.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16333, f. 83-84
Transcription de Marie Rouat assistée de Gérard Pouchain

a) « exaler ».
b) « mots ».


18 février [1838], dimanche, midi ½

C’est bien gentil à vous, mon Toto, d’être venu me baiser ce matin dans mon lit. Malheureusement ça n’a pas assez duré, un seul baiser, c’est pas beaucoup. Vous devriez recommencer, MIEUX QUE ÇA. Je m’aperçoisa que j’ai pris ma feuille de papier à l’envers. Heureusement que cela n’empêche rien du tout et n’en est quelquefois que plus commode, il suffit de s’y habituer. Je vous ai à peine vu, mon Toto chéri, vous êtes comme le soleil en hiver, vous vous montrez rarement et pas longtemps. Je n’ai pas eu le temps de vous demander, si vous n’étiez pas venu ce soir à l’heure du spectacle, ce qu’il faudrait faire ? Partir tout de même sans vous avoir vu ni embrasséb ? C’est bien chesse. Enfin… j’espère encore que vous aurez la conscience de revenir avant l’heure du spectacle. J’ai bien mal à la tête ce matin. J’aurais besoin d’un REMÈDE mais pas Les deux Mères [1] de la Porte-Saint-Martin, autre chose de plus appétissant. Pouah ! la vilenie ! C’est un vrai spectacle de foire. C’était bien la peine d’attendre un an pour me mener à ce théâtre. MA RENTRÉE était bien choisie. Heureusement que je vais me débarbouiller ce soir de cette sale et puante prose avec les plus beaux vers du monde. Ceux-là sentent bon au moins. Jour Nono. Je t’aime mon Toto. Je t’adore mon Victor. Jour, onjour. Je voudrais être plus vieille de huit jours pour avoir le droit d’exiger de vous… beaucoup de choses. Vous m’entendez, n’est-ce pas ? En attendant, je grogne, je vous aime et je vous désire.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16333, f. 85-86
Transcription de Marie Rouat assistée de Gérard Pouchain

a) « apperçois ».
b) « embrasser ».

Notes

[1Alix ou les deux mères, drame en cinq actes de Charles Desnoyer et Alphonse Brot, fut créé à la Porte-Saint-Martin le 13 février 1838, et publié chez Barba.

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