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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 novembre [1846], lundi soir, 5 h.

Je t’ai manqué de quelques minutes, mon pauvre doux bien-aimé, car je suis rentrée à 4 h. ¼ à la pendule et Suzanne m’a dit que tu ne faisais que de sortir. Je me suis pourtant bien dépêchée, mais les jours sont si courts que je n’ai pas pu m’en aller plus tôt de la maison nia revenir plus vite. Du reste, je n’ai pas trouvé M. le curé [1], il était chez le maire, m’a-t-on dit, mais je ne m’en suis pas assurée comme bien tu penses. Je me regarde maintenant dégagée, sinonb de la reconnaissance qui sera éternelle, du moins du petit devoir de politesse que je lui devais, et comme vieillard et comme curé. Je n’ai pas été jusque-là sans faire une pieuse station à la tombe de ma pauvre fille. J’y suis restée assez longtemps malgré la douloureuse émotion qui me poignait. C’est une espèce de satisfaction âcre qu’on redoute et qu’on recherche, une sorte de plaisir de la douleur qui vous attire et qui vous fait horreur. Mon pauvre enfant, mon pauvre enfant, dire que je ne la verrai plus jamais. C’est horrible. Je suis revenue à travers les boues jusqu’à la barrière sans pouvoir me rendre compte de la distance du chemin. J’étais comme ivre. J’avais tant besoin de te voir et de me rapprocher de toi comme dans un port que j’ai pris tout de suite la rue du Pas-de-la-Mule pour être plus tôt, c’est-à-dire pour toucher du regard, de la pensée et de l’âme ta maison dans laquelle tu étais peut-être déjà rentré. J’ai éprouvé un bien vif sentiment de chagrin et de regret quand j’ai su que tu étais venu et reparti sans dire si tu reviendrais car Suzanne était allée chercher le dîner pendant ce temps-là. Je crains que tu n’aies eu l’intentionc d’aller au-devant de moi et que mon itinéraired ne m’ait mal serviee. Cher adoré, j’ai pourtant bien besoin de reposer mon pauvre cœur dans du bon amour vivant.
Il me semble que c’est ton pas justement, c’est toi. Quel bonheur !

6 h. ½

Ô tâche de tenir ta bonne promesse, mon adoré, en venant de bonne heure. J’ai tant besoin de toi.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1846/05
Transcription de Gwenaëlle Sifferlen

a) « n’y ».
b) « si non ».
c) « intentention ».
d) « initinéraire ».
e) « servi ».

Notes

[1Il s’agit probablement de l’abbé Chossotte ou Chaussotte, curé de Saint-Mandé, qui était le confesseur de Claire Pradier.

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