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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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26 novembre [1849], lundi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon Toto, bonjour mon doux bien-aimé, bonjour. Que tu as été bon et charmant hier de me donner tout le temps que tu avais destiné à Mlle Rachel. Peut-être aurions-nous pu le mettre encore plus à profit mais tel quel j’en ai été pour ma part très heureuse et très reconnaissante et je voudrais bien en avoir tous les jours autant. Bonjour, mon petit bien-aimé. Merci je t’aime, je suis GEAIE, je te souris et je te porterai quand tu voudras. En attendant dormez et soyez-moi bien fidèle depuis la tête jusqu’aux pieds inclusivement. Ne vous fiez pas à mon apparente bonasserie et à ma crédulité simulée, défiez-vous plutôt de ma féroce jalousie qui veille toujours et qui garde ses armes. Je sais tout ce que vous faites et bien autre chose encore. Toto, prenez garde à vous ! Si vous ne pionciez pas comme un loir dans ce moment-ci vous pourriez jouir d’un admirable rayon de soleil qui réjouit et qui réchauffe ma petite chambre. Après cela celui que vous voyez en rêve est peut-être plus beau et plus agréable encore. Dans ce cas je vous approuve et je vous conseille de prolonger le rêve le plus [long]temps que vous pourrez. Cher adoré, repose-toi bien afin d’être toujours beau, jeune et bien portant. Quoique ce soit un danger permanent pour moi j’aime mieux en courir tous les risques et périls que de te savoir malade. À VAINCRE SANS PÉRIL ON TRIOMPHE SANS GLOIRE [1]. Mais si on ne triomphe pas on crève de désespoir, voilà l’envers de la chose. Mais il ne s’agit pas de cela positivement je l’espère dans ce moment-ci. Par conséquent il n’y a aucune témérité à moi dans le vœu que je fais de vous voir toujours le plus charmant et le plus fameux des Toto. Dormez qu’on vous dit, dormez longtemps, jusqu’à l’heure de venir me chercher. D’ailleurs le soleil pour lequel je désirais que vous ouvriez les yeux s’est déjà renfoncéa dans sa cachette, le vilain jaloux, aussi l’horizon est noir comme un four éteint et moi je suis bête comme un pot sans anse, ce qui n’a pas besoin d’être prouvé. Il suffit de me voir, de m’entendre ou de me lire et pourtant je vous adore de tout mon esprit et de tout mon cœur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 237-328
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « renfoncez ».


26 novembre [1849], lundi matin, 11 h. ½

C’est encore moi, mon petit homme, c’est toujours moi, ce n’est que moi. Si j’en crois mon cœur j’ai un tas de choses plus intéressantes les unes que les autres à te dire. Si je cherche dans mon esprit je ne trouve absolument rien. Aussi n’est-ce pas sur lui que je compte pour remplir ces quatre pages blanches. Seulement je m’inquiète comment je pourrai faire tenir tant d’amour sur si peu de place ? Ce n’est pourtant pas la première fois que cela m’arrive. Il est vrai que je m’en tire assez mal et que je me trouve encore plus encombrée de tendresses après la fin de mon gribouillis qu’en le commençant. Aujourd’hui je n’espère pas être plus adroite que d’habitude et je m’y résigne sans la moindre humiliation. Pourvu que tu te laissesa adorer par moi à ma manière et que tu m’aimes un peu, je suis heureuse et fière de mon succès. D’ailleurs à quoi te servirait mon esprit si j’en avais ? Tu dois être tellement blasé sur cette belle qualité qu’un peu de stupidité de temps en temps doit te sembler bon et te raviver le goût. Dans ce cas-là tu n’as qu’à parler et à te faire servir, je suis à tes ordres à toute heure de la nuit et du jour. En attendant, et pour que tu ne l’oubliesb pas, je me rappelle à ton souvenir deux fois par jour et si je ne craignais pas d’en abuser j’userais du même moyen depuis le matin jusqu’au soir. Mais je sais qu’il ne faut user des meilleures choses qu’avec discrétion, c’est pour cela que je te distribue à petites doses (deux fois par jour) l’ennui de mon amour. Si c’est encore trop pour toi tu n’as qu’à me le dire et je diminuerai la dose à rien dans l’espoir que cette homéopathiec d’un nouveau genre réussissed à t’emplir le cœur de tendresses et de désirs pour moi. Je suis prête à tout faire pour te prouver mon amour et pour gagner le tien. Ne te gêne donc pas pour me demander ce qui te plaît le mieux ou te déplaît le moins. Je suis et veux être toujours ta pauvre Juju très obéissante qui t’aime et qui t’adore humblement.

BnF, Mss, NAF 16367, f. 329-330
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse
[Souchon]

a) « laisse ».
b) « l’oublie ».
c) « cet oméopathie ».
d) « réussissera ».


26 novembre [1849], lundi soir, 10 h.

Oh ! que c’est beau, que c’est cruel et que c’est juste, mon Dieu, ce que tu dis de tous ces misérables, les vaincus et les vainqueurs. On croirait lire le jugement de Dieu même dans tes sublimes vers. Oh ! quelle punition, quel éternel châtiment pour tous ces féroces hypocrites. Il me semble que les mots terribles et flamboyants que tu as écritsa ce soir doivent déjà leur brûler la conscience et les marquer au front d’une infamie indélébile. Si tu savais l’effet que cela me faisait en copiant cette poésie d’éclairs et de tonnerre et comme j’étais remuée jusque dans la moelle de mes os, tu comprendrais comment il se fait que j’ose te parler d’un sujet si démesuré et si colossal [2]. Mais tu m’as accoutumée à tant d’indulgence que je ne m’inquiète pas de ma témérité ; ce n’est pas la première fois qu’une fourmi aura fait le tour d’un grand chêne et qu’elle aura grimpé familièrement le long de son immense tronc. Ce n’est pas non plus la première fois que j’aurai essayé de faire le tour de tes œuvres admirables et que j’aurai tenté d’arriver jusqu’au faîte de tes sublimes pensées, car j’ai plus d’admiration et d’adoration que je ne suis grosse, c’est-à-dire que mon esprit n’est gros ce qui n’est pas tout à fait la même chose. Aussi, mon Victor, je n’ai pas résistéb au besoin d’épancher le trop plein de mon enthousiasme, mais, quoi que je dise et quoi que je fasse, je sens que je ne parviendrai qu’à augmenter l’intensité de mon admiration. C’est absolument comme le feu qu’on souffle. Mon Victor adoré, je voudrais faire de mon cœur le foyer ardent où tu prends toutes ces brûlantes sublimités, je voudrais faire de mon âme la lumière de ta vie, je voudrais faire de ma volonté l’esclave humble et soumise de la tienne, je voudrais être à la fois ton génie et ta servante.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 331-332
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « écrit ».
b) « résister ».

Notes

[1Réplique de Don Gomès à l’Acte II, scène 2 du Cid de Corneille.

[2On ne sait de quelle pièce il s’agit.

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