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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 août [1849], mercredi soir, 8 h.

Ô mon adoré, quelle séance et quel triomphe pour toi. Je ne suis pas encore redescendue sur la terre, il me semble que je plane dans ta gloire et que ma tête touche le ciel depuis ton beau et sublime discours [1]. J’ai encore dans les oreilles les applaudissements et les hourrasa de tous ces délégués du globe civilisé. Mon exaltation loin de s’affaiblir semble s’accroître encore par le souvenir de cette admiration unanime. On aurait dit que toute cette assemblée, si diversement composée pourtant, n’avait qu’une intelligence et qu’une âme pendant que tu parlais. Ton divin génie avait dans ce moment-là le don de toutes les langues et la clef de tous les cœurs. Tout le monde te comprenait, tout le monde t’admirait et tout le monde t’aimait. Moi je me croyais déjà au ciel et je jouissais de ta gloire comme si j’avais été déjà morte. Je sentais que mon intelligence avait pris un développement tel qu’elle ne pouvait plus être contenue dans ma pauvre enveloppe de Juju. Cette illusion dure encore, tu peux t’en apercevoir à la divagation de mes gribouillis malgré tous les efforts que je fais pour me ramener à des sentiments plus calmes et plus tranquilles.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 232-233
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « houras ».


22 août [1849], mercredi soir, 8 h. ½

Riez tant que vous voudrez mon cher petit homme, mais je n’en persiste pas moins à trouver que le Congrès me prend tout mon temps et qu’il m’en reste à peine assez pour remplir ce petit devoir que mon amour m’impose deux fois par jour. Pour y arriver il faut que je m’y prenne la veille et que je mette mes deux gribouillis côte [à] côte et sans une minute d’intervalle. Moquez-vous tant que vous voudrez mais c’est comme cela. D’ailleurs, l’apôtreJean Journet lui-même excite les huées universelles, je ne vois pas pourquoi une simple Juju inspirerait une admiration plus sérieuse au président du Congrès de la paix universelle. Je ne sais pas ce qui se passe dans mon cerveau, mais depuis que j’ai commencé ce second gribouillis j’éternue sans interruption et j’ai déjà trempé mon mouchoir au point de ne pouvoir plus m’en servir. Du reste je suis furieuse contre ma servarde [2] qui a profité de mon enivrement pour m’extorquer la permission d’aller chez sa cousine ce soir sous je ne sais quel prétexte. De sorte que je n’ai pas et que je ne pourrai peut-être pas avoir ton discours ce soir. Vraiment je suis on ne peut pas plus contrariée de n’avoir pas songé plus tôt que cette permission de sortie donnée à cette fille retarderait le bonheur de lire ton discours de toute une longue nuit. Décidément je suis très absurde et cette fille bien mal avisée. Mais tout cela ne serait plus aussi grave si tu venais ce soir ne fût-ceb qu’une minute, mais je n’ose pas l’espérer. Je le désire de toutes mes forces, voilà tout.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 233-234
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « appôtre ».
b) « fusse ».

Notes

[1Le même jour, Victor Hugo a prononcé le discours d’ouverture du Congrès de la paix, dont il est le président.

[2Suzanne.

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