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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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23 juillet [1849], lundi matin, 6 h.

Bonjour, mon tant doux aimé, bonjour, comment vas-tu ce matin mon cher petit homme de mon cœur ? Eh bien ! tout s’est-il passé comme vous le désiriez hier ? Avez-vous bien baffré ? Tout cela était-il bien bon ? Et ces dames ont-elles été bien contentes de leurs petites chinoiseries [1] ? Quant à moi, j’ai dîné toute seule comme un pauvre chien, mais Dieu sait que ce n’est pas la VIANDE que j’ai regrettéea, aussi je n’ai fait que penser à toi, même en dormant. Maintenant que voilà votre Balthazarb [2] fini, est-ce que ce ne sera pas un peu à mon tour ? Je ne demande pas des festins, la moindre petite matelotec me suffira pourvu que je sois avec vous dans quelque bon petit coin du monde. Ce serait pourtant bien juste. Je ne comprends pas qu’il faille tant insister pour une chose si facile et après tout si peu dispendieuse. S’il le faut je paierai mon ÉCHO. Cher petit homme, mon Toto bien-aimé, un temps viendra, qui n’est peut-être pas très éloigné, où tu regretteras de ne m’avoir pas donné tout le bonheur que tu aurais pu et dû me donner. Tu le regretteras quand il ne sera plus temps et tu te feras des remords avec ce qui aurait été des souvenirs d’amour et de bonheur. Je te dis cela sans amertume, mon adoré bien-aimé, je te le dis comme un pressentiment et avec toutes sortes de tendresses ineffables dans le cœur. Je voudrais t’épargner jusqu’à la possibilité d’un chagrin pour l’avenir. Je veux que tu me regrettes sans souffrir. Je veux que tu m’aimes toujours.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16367, f. 209-210
Transcription d’Anne Kieffer assistée de Jean-Marc Hovasse

a) « regretté ».
b) « Bathazar ».
c) « matelotte ».


23 juillet [1849], lundi matin, 10 h.

Mon bien-aimé, je n’oublie pas que je peux avoir la chance de te voir à midi ½ et je me dépêche, dans cette douce espérance, de faire toutes mes affaires pour être prête à cette heure-là. Je n’aurais plus rien à te dire si je n’avais pas un amour aussi bavard. J’ai tant besoin d’épancher le trop-plein de mon cœur que je ne m’aperçois pas de la monotonie fastidieuse de mes gribouillis. Pour moi, ce que j’éprouve me semble toujours nouveau. Voilà pourquoi je t’en rends compte avec cette imperturbable et naïve ténacité. D’ailleurs, mon adoré, tu as une manière très commode et très légitime de t’affranchir de l’ennui que je t’impose malgré moi, en ne me lisant pas. Car, à une faute d’orthographe près, tu sais d’avance ce que tu trouveras dans mes informes gribouillis. Ce n’est pas une raison parce que je t’aime trop pour que je t’ennuie outre mesure. Aussi, je te supplie de n’en prendre qu’à ton aise. Pourvu que je puisse me soulager en te griffouillant mes tendres élucubrations, je n’ai pas l’amour-propre de désirer que tu les lises AU CONTRAIRE. Maintenant, cher adoré, je te baise de l’âme et je t’attends avec transport. Je me dépêche de faire ta tisane et de m’habiller et puis je serai toute à toi. Jusque-là, je t’adore.

Juliette

MVHP, Ms, a9051
Transcription de Joëlle Roubine et Michèle Bertaux

a) « tisanne ».
b) « tout ».

Notes

[1La famille Hugo a pour habitude de recevoir le dimanche soir.

[2Festin.

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