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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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1er octobre [1845], mercredi matin, 9 h.

Bonjour, mon petit bien-aimé, bonjour, toi, comment vas-tu ce matin ? As-tu bien dormi cette nuit ? Ton petit lit était-il bien chaud ? Moi j’ai rêvé de toi et de tous les déménagements que tu voudrais que je fasse, mais en rêve comme en réalité, tous ces arrangements étaient impossibles. Cependant je te promets que j’essaierai. Je ne veux pas que tu aies dépensé tant de si bonnes et si justes paroles pour rien. Ma bretonnerie ne va pas jusqu’à me refuser à essayer si toutes ces belles théorie des ménages sont possibles en pratique. Quant aux tapis, je verrai le parti qu’on en pourra tirer pour le plus utile.
J’ai envoyé changer le billet. Tu le trouveras moitié en argent et moitié en billet de 500 francs. Il faudra que tu me donnes aujourd’hui une assez grosse somme dépensée d’avance : le mois du jardinier, 7 francs de pavots pour toi, la blanchisseuse, 25 francs que je dois à Suzanne, des brodequins pour Claire. Tu vois, mon pauvre adoré, que de ce que tu me donneras il ne me restera pas un sou et il te manquera une grosse poignée d’argent avant la fin de la journée. Je t’en donne les détails écrits afin que tu puissesa te rendre compte de l’emploi que j’en fais. Cela ne m’empêche pas, malgré ta défense expresse, d’être en compte avec Mlle Féau. Cela tient à cette tapisserie que tu devais dessiner de jour en jour et aussi à la difficulté de payer à heure fixe, ce qui n’a ni jour, ni heure, ni prix fixe. Je crains que tu ne te fâches et que tu ne me grondesb bien fort. Aussi j’aime mieux te l’écrire. Le premier mécontentement sera passé quand je t’en parlerai et j’aime mieux cela, car sans en avoir l’air, je te crains horriblement. Oui, mon bien-aimé, je crains de te déplaire plus que la mort et je sens même que, dans des cas donnés, cela pourrait me faire faire des sottises. Ce n’est pas ta violence et ta colère que je crains, cher être doux et indulgent, c’est la peur de te contrarier et que tu m’aimes moins. Cependant j’avoue que la chose de Mlle Féau ne m’effarouche pas énormément. C’est une simple infraction à la discipline et dont vous êtes en partiec la cause. J’attends donc vos remontrances de cœur ferme et au besoin c’est MOI qui vous en ferai. Ah ! mais c’est que je ne me laisserai pas tyranniser et opprimer sans rien dire. Je ferai comme Mme Dezenne, ma voisine, qui crie bien fort quand elle voit que son mari va pour se fâcher. Ce système, qui m’a été transmis par Claire, n’est pas sans charme et je compte en user à la première occasion. En attendant, je tremble dans ma peau comme les poltrons d’opéra-comique et je chante bien haut afin de me donner du courage. Voime, voime , mamzelle Chichi est drès gouracheuse, [za  ?] vais beur [1].
Jour, Toto, jour, mon cher petit o, battez-moi, je vous le permets, mais aimez-moi, j’aime mieux cela que la douce indifférence que vous me témoignez depuis si longtemps.

11 h. ½

Cher bien-aimé, mon amour, mon Victor, mon cher adoré, je t’aime, tu es ma joie. À ce soir. Je t’adore.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16361, f. 1-2
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu puisse ».
b) « tu ne me gronde ».
c) « en parti ».

Notes

[1Juliette imite l’accent allemand.

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