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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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2 septembre [1845], mardi matin, 7 h. ¼

Bonjour, mon Victor, bonjour, mon bien-aimé, bonjour, comment vas-tu ? Tu ne te sens pas fatigué de la journée d’hier ? Ton petit ventre ne te fait pas de mal ? As-tu bien dormi ? M’aimes-tu ? Moi je t’aime, je t’aime, je t’aime. Chaque pulsation de mon pouls te le dita. Toutes mes pensées, tout mon être est à toi.
Je pense que je te verrai aujourd’hui, mon Victor, et cela me remplit le cœur de joie. Chaque heure qui s’écoule me rapproche de toi, tu me l’as écrit dans ton adorable petite lettre [1], mais je trouve qu’elles s’écoulent trop lentement. On dirait que les secondes et les minutes ont des boulets aux pieds qui les empêchent d’avancer. Cependant j’espère bien te voir ce soir et peut-être même plus tôt. Quelle que soitb l’heure à laquelle tu viennes, mon Toto chéri, elle n’arrivera jamais assez vite au gré de mon impatience.
Je te ferai ton houblon pour ce soir, dans le cas où tu en aurais besoin. Je te promets qu’il sera fait cette fois avec une précision rigoureuse. J’étais assez contrariée l’autre jour de n’avoir pas mieux réussi. Aujourd’hui je serai plus habile. C’est si doux de s’occuper de toi que j’y passerais ma vie avec bonheur. J’ai toujours eu l’ambition d’être ta servante, tu sais ? Cher petit bien-aimé, tu ne peux pas savoir combien ce vœu est sincère, mais le bon Dieu le sait, lui qui voitc tout ce qui se passe dans mon cœur. Je donnerais tout au monde pour pouvoir remplacer mamzelle Victorined auprès de vous. Avec quelle joie je vous servirais, avec quel enthousiasme je mettrais les faumes à la porte. Hum... l’eau m’en vient à la bouche. Baisez-moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 220-221
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « te le dis ».
b) « quelque soit ».
c) « lui qui vois ».
d) « Victorinne ».


2 septembre [1845], mardi soir, 8 h.a

Mon Toto bien-aimé, je commence à perdre confiance dans ta promesse. Je sais que ce ne sera pas de ta faute si tu ne viens pas ce soir et je ne t’en veux pas, mais je suis triste comme un pauvre chien. Je vais aller me coucher, non pour dormir, à huit heures, mais pour reposer mon pied qui me fait souffrir affreusement. Je ne sais pas comment je ferai demain pour me lever s’il me fait autant de mal que ce soir.
Je me plains toujours, mon Toto, mais c’est qu’en vérité j’ai toujours quelque chose et surtout toujours bien mal au pied. Toi, comment vas-tu ? Que devient ton régime ? Ton houblon et ton bain salé de deux jours l’un ? Tu te soignes un peu à la diable et puis tu t’étonnes de ne pas être guéri en temps et en heure. À qui la faute ? Taisez-vous, car j’ai un besoin insurmontable de grogner, autant vaut ce prétexte-là qu’un autre, puisque je ne veux pas dire le vrai que vous devinez peut-être malgré que j’en aie ? Cher petit homme chéri, je ne veux pas être méchante, je veux, au contraire, être [illis.] courageuse jusqu’à la fin. Pour cela il faut que je relise ma bonne petite lettre [2], que je repasse une à une les douces et tendres promesses que tu m’as faites hier, que je te baise en pensée et en désir et que je t’adore de toutes les forces de mon âme. De cette façon, j’arriverai jusqu’à demain sans t’avoir trop montré mon ennui et mon impatience. Bonsoir, mon Victor, dors bien, à demain... hélas !

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 222-223
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « 2 août ». La date a été corrigée par une main différente de celle de Juliette.


2 septembre [1845], mardi après-midi, [illis.]

Je pense à toi, mon Victor bien-aimé, je suis avec toi, je te vois, je te souris, je t’aime, je t’adore. J’espère que je te verrai ce soir. Ta chère petite lettre [3] me le promet bien et je veux la croire. Comment te trouves-tu mon bien-aimé ? Le voyage ne t’a-t-il pas beaucoup fatigué ? J’attends ce soir avec bien de l’impatience pour savoir tout cela. Cher petit bien-aimé, mon Victor, ma vie, mon enfant, mon tout, je t’aime. Je t’ai fait ton houblon et je l’ai très bien fait. Il ne s’en est pas fallu de la valeur d’un dé à coudre pour les trois verres. Il faut juste deux heures et demie pour le faire. Le moyen de la [craie  ?] ne vaut rien. Je l’avais essayé mais ce n’avait été qu’un à peu près, tandis que l’heure est tout à fait sûre. Je te dirai, mon Toto, que ne pouvant plus mettre un pied devant l’autre, j’ai voulu, à défaut de créosote [4], me soulager par un moyen quelconque et j’ai pour cela pris mon fameux rasoir avec lequela je me suis découpé le pied d’une façon si [illis.] que mon sang coulait à flots et que je ne pouvais plus l’arrêter. Aussi depuis ce moment-là je suis comme une âme damnée. Avant je n’étais qu’enragée. Il y a progrès comme tu vois. Et dire qu’il y un remède qui pourrait me faire du bien et que tu ne veux pas me laisser faire. C’est vraiment pousser trop loin l’habitude de l’obéissance et le respect de la promesse. Taisez-vous, méchant, et ADMIREZ-moi, car je souffre mille atroces douleurs, dans la crainte de vous déplaire. Baisez-moi et imitez-moi si vous l’osez.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 224-225
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a)« avec lequelle ».


2 septembre [1845], mardi soir, 5 h. ¾

Cher adoré, je t’attends, je t’attendrai jusqu’à l’heure où il n’y aura plus d’espoir, mais mon pauvre cœur commence à perdre de son assurance. Je me dis que tu vas arriver, que tu es peut-être déjà dans ma rue au moment où je t’écris cela. Mais au fond, je tremble de peur que [illis.] tu ne viennes que demain. Si cela était, mon Victor adoré, je n’oublierais pas que tu m’as dit que ce ne serait pas de ta faute et que tu n’aurais cédé qu’à de vives et pressantes sollicitations. Je n’en aurai pas la moindre amertume contre personne, seulement je serai triste comme je le suis toujours quand j’espère te voir et que tu ne viens pas.
J’ai vu Mme Triger tout à l’heure. Elle est fort triste aussi, la pauvre femme, parce que son fils, qu’elle aime tendrement, est parti pour un mois au moins. Elle a pleuré et moi j’ai fait comme elle en pensant à toi. Tu vois que ce n’était pas très gaia. Mais les larmes ont bien aussi leur douceur cependant. C’est une volupté comme une autre que de sentir qu’on aime jusqu’au vif. Du reste, elle est très fâchée que je ne sois pas allée hier la voir et dîner avec elle. Elle me l’a dit avec une vraie effusion. Je l’ai engagée à venir demain dîner avec moi si elle peut. Voilà, mon Victor, avec les soins du ménage, l’emploi de mon temps aujourd’hui. J’oublie de te dire que j’ai fait le commissaire-priseur. La penaillon a fait apporter chez moi tantôt un admirable paravent chinois : une merveille. Je lui ai dit peut-être un peu trop consciencieusement, ce qu’elle devait l’acheter dans le cas où il te conviendrait pour chez toi. Mais c’est vraiment éblouissant. Je veux que tu le voiesb. En attendant, je t’attends, je t’attendrai jusqu’à minuit mais je donnerais tout au monde pour te voir tout de suite.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 226-227
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « gaie ».
b) « tu ne vois ».

Notes

[1Argument supplémentaire pour corriger la datation de la lettre datée par Jean Gaudon du lundi 8 septembre 1845 (Massin, t. VII, p. 848) où Hugo fait en effet cette promesse à Juliette Drouet. La lettre de Hugo date en réalité du 1er septembre.

[2S’agit-il de la lettre que Jean Gaudon date du 8 septembre 1845, dont il conviendrait de modifier la date pour le 1er septembre 1845 ? (Massin, t. VII, p. 848). Victor Hugo aurait écrit la lettre suivante le lundi 1er septembre 1845 : « Je t’écris bien vite ces quelques lignes au moment de partir. Tu les auras ce soir ou demain matin, et elle tiendront ma place près de toi, mon pauvre doux ange bien-aimé. / Ce n’est qu’une bien courte absence, mais il m’est impossible de me séparer de toi, ne fût-ce que pour un jour, sans un serrement de cœur. N’es-tu pas la compagne de ma vie, le centre et le foyer de tout ce qui est chaleur en moi, la moitié de mon âme ? Oh ! va, je le sens bien, je le sens bien plus que jamais en ce moment où je suis si triste pour une absence de quelques heures. La pensée qu’il va y avoir des lieues entre toi et moi m’est insupportable. Comme je vais revenir avec joie ! Comme j’ai besoin de te voir, et de respirer le même air que toi, mon ange ! Sois tranquille, je suivrai cette lettre de près. Demain mardi pour sûr je serai à Paris. / En m’attendant, soigne-toi bien, repose-toi si ton pied te fait mal, ne te fatigue pas dans ta maison. Dorlote-toi, je l’exige, c’est bien le moins, toi qui sais si bien dorloter les autres ! / À demain donc, ma bien-aimée. Au moment où tu recevras cette lettre, les heures écoulées auront rapproché le moment. Lors même que je n’arriverais que le soir, ne t’inquiète pas, je te viendrai toujours. Je baise tes chers petits pieds blancs si charmants et si aimés. »

[3Dans sa lettre du 1er septembre 1845, datée par erreur du lundi 8 septembre par Jean Gaudon (Massin, t. VII, p. 848) et que nous reproduisons dans la note 1 de la lettre de Juliette Drouet à Victor Hugo du 1er septembre (NAF 16390, f. 218-219), Hugo lui promet en effet : « Demain mardi pour sûr je serai à Paris. »

[4La créosote est une substance liquide, incolore, caustique que l’on extrait par distillation des goudrons. En médecine, elle est généralement utilisée contre la rage de dents (Larousse).

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