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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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20 août [1842], samedi matin, 9 h. ½

Bonjour mon Toto chéri, bonjour mon cher amour, comment que ça va ce matin ? Il m’est venu une idée cette nuit, ça n’a pas l’air croyable au premier abord, mais cela est cependant. Il m’est donc venu une idée, c’est que vous alliez peut-être mener votre famille aujourd’hui à la campagne [1] ? Si cela était, j’aurais une fichue journée à passer car il est probable que vous ne reviendriez pas avant demain, mais je prendrais mon courage à deux mains dans l’espoir d’avoir de temps en temps quelque bonne nuit entière, quelque bonne journée bien complète. En attendant, j’attends toujours et je ne vois rien venir de bien consolant. Enfin, la patience est la mère de la mystification et du désappointement, et je ne serais pas du tout étonnéea que MON IDÉE n’en fût pas une et de me trouver vieille Juju comme devant. Toujours est-il que vous êtes mon pauvre Toto adoré, malgré toutes vos noires trahisons. Baisez-moi, monstre, et ne refaites plus de dessins, si ce n’est pour moi, si vous tenez à la vie. Et puis je veux que vous me rapportiez tous ceux qui sont à moi parce que je ne les crois pas en sûreté chez vous. Vous avez trop abusé de ma confiance, maintenant je n’en ai plus. Sur ce, baisez-moi encore et ne vous en allez pas sans venir me dire adieu, si vous vous en allez toutefois.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 77-78
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « étonné ».


20 août [1842], samedi soir, 6 h. ½a

Je suis une bien étrange créature, du moins tu le crois aussi, n’est-ce pas mon cher bien-aimé ? Eh ! bien, ce qui n’est pour toi que bizarrerie, caprice et mauvais caractère, c’est de l’amour, de l’amour malheureux, défiant et inquiet. Tout m’est un sujet de crainte, et partant, de désespoir. Ainsi, cette visite à la duchesse d’Orléans [2] pour laquelle, je le reconnais, tu avais eu l’attention charmante de m’emmener, me devenait un supplice à cause de l’heure et des circonstances. Moi en déshabilléb et à peine débarbouillée, et cette femme dans le prestige d’une grande infortune, c’est à dire, après la beauté physiqueb, ce qui peut te séduire davantage. Je t’avoue que quelque courageux que soit mon amour, quelque confiance que j’aie en ta loyauté, je ne suis pas tranquille quand il faut que je lutte et que je combatte sans armes. Tout ceci à propos d’une surprise, d’une course en cabriolet à travers Paris, te paraît bien excessif et bien près d’une fièvre cérébrale. C’est qu’en effet, mon adoré, mon amour si longtemps comprimé dégénère en maladie et jusqu’en folie furieuse. Je souffre à propos de tout et presque de tout. J’ai peur de tout. Enfin je suis une pauvre femme bien à plaindre de t’aimer trop. Si tu ne reconnais pas à travers toutes mes incohérences combien je t’aime, c’est que tu ne m’aimes plus et que tu ne m’as jamais aiméed . Si au contraire tu le reconnais, tu me plains, tu me pardonnes, et tu m’en aimese davantage et je suis la plus heureuse des femmes. 

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 79-80
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette
[Guimbaud, Souchon, Massin]

a) Deux croix semblent signaler le choix de Paul Souchon de retenir cette lettre.
b) « déshabillée ».
c) « phisique ».
d) « aimé ».
e) « aime ».

Notes

[1La famille Hugo part depuis quelques années à Saint-Prix dans le Val d’Oise pendant quelques mois. En 1842, Adèle Hugo et ses enfants partiront entre le 24 et le 25 août s’installer dans la maison Carlin.

[2Le 20 août 1842, Victor Hugo va faire une visite de condoléances à la duchesse d’Orléans avec Juliette Drouet. Le duc d’Orléans, prince royal de France, est mort le 13 juillet à Neuilly-sur-Seine, dans un accident de calèche et Hugo a assisté le 3 août au service funèbre solennel donné en son honneur.

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