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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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30 juillet [1842], samedi matin, 10 h. ¾

Bonjour mon Toto adoré, bonjour mon cher amour bien-aimé, comment vont les petites pattes ce matin ? Comment va le petit garçon ? Êtes-vous content de vos mitaines, mon cher petit goutteux ? Je pensais que vous viendriez m’en donner l’étrenne ce matin mais il est probable que vous n’êtes pas venu à cause de la cérémonie funèbre de tantôt que vous irez voir avec votre grand Charlot [1] ? Moi, comme d’habitude les jours de fêtes, de morts ou de mariages, je reste parfaitement seule chez moi. Aujourd’hui je donne congé à ma servarde pour toute la journée et même pour toute la soirée. Elle pourra s’en donner à cœur joie des urnes funèbres et autres facéties du même genre. J’ai mon dîner fait d’avance et je lui donne sans regret sa journée toute entière. Jour Toto, jour mon cher petit o ravissant. Dépêche-toi de te guérir et le petit garçon aussi afin que je n’aie plus ce souci mêlé à l’ennui de ton absence. Ah ! mon Dieu, qu’est-ce que je viens de dire là ? J’oubliais que vous ne voulez pas qu’on s’ennuie. Eh ! bien, mettez que j’ai écrit à la place de ce mot proscrit celui plus agréable à l’œil : au PLAISIR etc. Maintenant si vous n’êtes pas content de ma soumise rédaction, c’est que vous n’êtes pas raisonnable. Baisez-moi cher petit homme adoré et pensez que je vous attends comme un pauvre chien.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16349, f. 305-306
Transcription d’Ophélie Marien assistée de Florence Naugrette


30 juillet [1842], samedi après-midi, 1 h. ½

Il n’est pas jusqu’à mon hideux merlan [2] qui se donne les genres de me faire attendre et de me manquer de parole. En vérité je ne suis pas née COIFFÉE d’aucune manière. Il faut en prendre son parti. Ma servarde est partie, je suis seule, parfaitement seule, mon Toto. Si tu as un moment dans la journée dont tu ne saches que faire, ce sera une bonne action de me le donner, car je suis vraiment triste, jusque dans la moelle des os. Jour Toto, jour mon cher petit o, comment que ça va vous et tout le monde de chez vous ? Tâchez que ce soit bien pour que je sois contente. Pensez un peu à moi mon pauvre amour, songez que je suis seule, que je vous attends et que je vous aime de toute mon âme. Parmi mes infortunes d’aujourd’hui, j’ai oublié de mentionner ma crème avalée par M. Fouyou ! Ma mansuétude habituelle n’a pas résisté à ce dernier trait et j’ai flanqué une pile sterling au susdit matou qui s’en lèche encore les barbes à l’heure qu’il est. Tout ceci me maintient plus que jamais dans la ferme résolution de m’en débarrasser le plus tôt possible. Malheureusement les occasions ne se présentent pas en foule pour ce genre d’animal. C’est absolument comme pour le genre académicien, ça n’est pas de défaite. Voime, voime vous en savez quelque chose mon vieux gouteux. Taisez-vous et venez bien vite, ça vaudra bien mieux. En attendant je vais me mettre à travailler pour me distraire et penser à vous pour m’amuser.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16349, f. 307-308
Transcription d’Ophélie Marien assistée de Florence Naugrette

Notes

[1Le Prince Ferdinand-Philippe d’Orléans, fils du roi Louis-Philippe et duc d’Orléans, est inhumé ce jour-là. La cérémonie a lieu à Notre-Dame-de-Paris.

[2Merlan (argot) : coiffeur.

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