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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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9 août [1845], samedi matin, 7 h. ½

Bonjour, mon aimé, bonjour, mon adoré petit Toto, bonjour, comment vas-tu ? Comment as-tu passé la nuit ? J’espère que tu dors encore d’un bon sommeil doux et bienfaisant. Je ne veux pas te réveiller. Je te baise bien doucement sur ta ravissante petite bouche rose et sur ton cher petit côté droit pour achever de le guérir tout à fait. J’attends ta lettre adorée [1] avec impatience pour savoir si tu vas mieux ou si cette course en voiture ne t’a pas fatigué. Je crains que, dans ce dernier cas, tu ne me disesa pas toute la vérité. Mon Victor chéri, mon amour, ne me cache rien, pas même ce qui peut m’inquiéter dans le moment afin de ne pas affaiblir pour l’avenir la confiance sans borne que j’ai en toi et sans laquelle je ne pourrais pas vivre séparée comme je le suis presque toujours de toi. Il faut me dire de point en point tout ce que tu ressens et tout ce qui s’est passé hier depuis que tu m’as quittée. Il faut surtout ne pas sortir sans la permission de M. Louis. Je te le recommande de toutes mes forces et de toute mon âme. Autant j’ai de bonheur, de joie et de plaisir à te voir sans danger, autant je serais triste et malheureuse de retarder d’un jour par ma faute l’entier rétablissement de ta santé. Aussi c’est du fond du cœur et de mon amour le plus tendre et le plus passionné que je te supplie d’attendre que tu sois tout à fait guéri pour venir, ou du moins qu’il n’y ait plus aucun inconvénient à ce que tu sortes tous les jours. Mon Victor adoré, mon aimé, mon bien-aimé, mon cher petit Toto, je t’aime plus que ma vie, je te le prouve en ce moment-ci.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 124-125
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu ne me dise ».


9 août [1845], samedi soir, 10 h.

Je suis bien contente et bien heureuse, mon bien-aimé, de t’avoir vu aujourd’hui. J’avoue que je n’osais pas l’espérer. Aussi ai-je été bien agréablement surprise quand je t’ai vu. Pauvre amour adoré, c’est la plus grande et la meilleure preuve que tu pouvais me donner que tu allais vraiment mieux. Jusqu’à aujourd’hui, toutes les précautions que tu prenais et les intervalles que tu mettais entre chaque apparition me faisaient en douter malgré la confiance que tu m’inspiresa. Enfin, mon pauvre ange adoré, de tantôt je suis convaincue que tu vas mieux. J’espère, Dieu aidant, que tu iras tout à fait bien d’ici à quelques jours, mais pour cela il ne faut pas faire d’imprudence. Il faut être très sage et bien suivre de point en point les avis de M. Louis. Comment t’es-tu senti en rentrant chez toi ? Le trajet ne t’a pas fait de mal ? As-tu un peu mangéb à dîner ? Et maintenant es-tu déjà couché ? J’en doute, quoique ce soit à coup sûr très recommandé par le médecin.
Cher petit homme adoré, il faut vous coucher tout de suite pour pouvoir venir demain me voir. Si tu ne le pouvais pas, mon doux aimé, mon cher amour, ma vie, ma joie, mon bonheur, mon tout, il faudrait m’écrire une bonne petite grande lettre le matin pour que je la reçoive dans la journée et pour qu’elle m’aide à passer la journée et la nuit sans trop d’inquiétude et d’ennui, car demain je serai parfaitement seule. Le guignon a voulu que cette pauvre Mme Tissard choisisse juste le jour où j’étais avec toi et où j’aurais voulu n’être qu’avec toi. Elle l’a bien sentie, la pauvre femme, mais il n’y avait pas moyen de reculer. Du reste tu as été parfaitement bon et charmant pour elle et pour ce pauvre grand séminariste. Ô tu es bon, toi, véritablement bon et ravissant. Aussi tout le monde t’aime et moi je t’adore. Je baise tout ton beau petit corps depuis tes cheveux jusqu’à tes pieds en m’arrêtant longtemps à toutes les stations.
Bonsoir, adoré, dors bien. Ne viens pas demain si cela doit te fatiguer, mais écris-moi, je t’en supplie, que j’aie quelque chose de toi à baiser toute la journée.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16360, f. 126-127
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu m’inspire ».
b) « manger ».

Notes

[1Victor Hugo écrit à Juliette Drouet ce samedi 9 août 1845 : « Samedi, 2 h. ½ / J’ai voulu attendre pour t’écrire que M. L. fût venu, j’ai passé une bonne nuit, et je vais toujours très bien. Cependant comme il ne faut pas éveiller la fièvre qui dort, je ne pourrai peut-être pas sortir avant lundi. Mais que cela ne t’inquiète pas, mon doux ange, c’est excès de sagesse et de précaution, tu m’as vu hier, et je suis encore mieux aujourd’hui. / Du reste il paraît que la convalescence sera peut-être assez longue ; ces sortes d’inflammation ont été cette année très malignes et très nombreuses et ont eu presque le caractère épidémique. Cela tient à la mauvaise saison que nous avons. / Et toi, bien-aimée, comment vas-tu ? Tu as passé une bonne nuit, j’espère. Tu vas voir ta Claire, ce qui te rendra heureuse, et tu l’embrasseras pour moi. Tu sais comme je l’aime, cette chère et charmante enfant. / Mon pauvre amour, quelle joie j’ai eue en te voyant hier, et quelle tristesse de ne pas te voir aujourd’hui, ni peut-être demain, hélas ! Tu as été adorable hier dans ce peu d’instants. Ce que tu dis, ce que tu fais ressemble à ce que tu es, c’est angélique et ravissant. En rentrant, j’ai lu et relu tes douces lettres, et je les ai baisées. Écris-moi, aime-moi, pense à moi. Un rayon d’amour va dans l’ombre et la distance de ma chambre à la tienne. Je suis toujours près de toi. Tu as mon âme. / Je veux que tu sois geaie, que tu sois heureuse, que tu souries et que tu ries même, et que tu n’attristes ta Claire d’aucune tristesse. Tout va bien, et tout ira mieux encore dans quelques jours. / Je t’aime, vois-tu, et cela me fait du bien dans ma tristesse et dans ma solitude de te savoir un peu gaie et un peu entourée là-bas. Chère bien-aimée, souris-moi. Je t’envoie les épluchures. » (édition de Jean Gaudon, p. 142).

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