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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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29 mai 1845

29 mai [1845], jeudi matin, 9 h.

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, vous. J’ai bien envie de bouder. C’était bien la peine de venir chercher votre clef et mon parapluie hier au soir puisque vous ne vouliez pas revenir ? Si je pouvais être furieuse contre vous, je le serais de tout mon cœur, mais j’ai beau faire, je ne parviens qu’à vous aimer davantage, ce qui est fort ennuyeux. Je ne sais pas pourquoi vous m’avez fait une scène hier au soir pour m’être couchée à neuf heures ? Je ne vois pas l’inconvénient qu’il y a à lire les journaux dans mon lit chaudement à la place de les lire debout dans une chambre froide ? Vous auriez dû m’en donner l’explication, cela m’aurait donné le temps de vous voir un peu plus longtemps, ce dont je n’aurais pas été horriblement fâchée, même au prix de coups et d’injures GRAVES. Baisez-moi, vilain Toto, AVARE Toto qui ne me donnez le bonheur de vous voir qu’à regret et si peu à la fois que je n’en ai pas même pour remplir ma dent creuse. Taisez-vous. Vous savez bien que c’est vrai.
Aujourd’hui ce sera sans doute l’Académie qui vous empêchera de venir me voir ? Comme si l’Académie pouvait empêcher un homme qui aime de venir embrasser une femme qui l’adore ? Tout cela n’est pas très drôle ni très récréatif et encore moins heureux. Mais il faut vouloir ce qu’on ne peut empêcher puisque de ne pas vouloir, c’est la même chose. Taisez-vous.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 235-236
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette


29 mai [1845], jeudi soir, 4 h. ¾

C’est pour me dédommager de ne pas t’avoir vu de la soirée d’hier, car je n’appelle pas vous avoir vu l’apparition intéressée (il s’agissait de m’emprunter mon parapluie) que vous avez faite hier, en ne venant pas de toute la journée aujourd’hui. C’est fort spirituel, vraiment. Mais je vous préviens que vous m’ennuyez beaucoup si vous vous trouvez drôle. Je suis furieuse et je crois que je vous détesteraisa avec volupté si je le pouvais.
On m’a apporté tout à l’heure, une belle dame en cabriolet Milordb [1], une lettre de Claire qui en contenait une de son père [2]. C’est au sujet de l’examinateur M. Barrière. Malheureusement, il l’a recommandée sous le nom de Drouët, ce qui ne servira à rien du tout. J’ai envie d’écrire à la mère Lanvin pour qu’elle lui dise de réparer cette bévue. On le peut jusqu’au dernier moment et il vaut mieux avoir deux examinateurs dans sa manche qu’un seul. Du reste, je ne sais pas quelle est la personne qui a remis la lettre chez mon portier. J’étais dans ma chambre et je l’ai vue de loin, mais sans la reconnaître.
Jour, mon Toto, Juju est bien fâchée. Juju bisque, Juju rage, Juju a un nez de carton, Juju est très mystifiée, Juju n’est pas heureuse du tout. Cela vous est bien égal à ce qu’il paraît puisque vous ne venez pas. Oh ! si je pouvais ne plus vous aimer. Oui, mais c’est que je vous aime de pire en pire. Voilà le malheur.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 237-238
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « je vous détesterait ».
b) « cabriolet Mylord ».

Notes

[1« Voiture hippomobile à quatre roues, avec à l’avant un siège surélevé pour le conducteur et à l’arrière un siège à deux places protégé par une capote qu’on peut lever ou baisser. » (TLF).

[2Voici la lettre de Claire : « (Saint-Mandé, 29 mai 1845) / Ma mère bien aimée, / j’ai reçu hier, en même temps que ta lettre, un mot de mon père et ce m’a été un grand bonheur que pour la première fois deux lettres de mon père et de ma mère tant aimés m’arrivassent ensemble. Il a écrit à M. Barrière mais comme il ne l’a pas fait en me désignant sous mon vrai nom, cette recommandation est perdue puisque je ne verrai pas ce monsieur et qu’ainsi il ne [me] connaîtra pas. Je n’ai vu encore personne et je n’ai toujours pas de lettre, ce qui fait croire que ce ne sera que pour jeudi prochain. Si tu voyais, ma mère chérie, quelque remède à la distraction de mon père, voudrais-tu avoir la bonté de le lui faire dire par Mme Lanvin. […] / Ma petite Charlotte trouve le temps bien long de ne te pas voir. Elle t’embrasse bien fort. Mes compliments respectueux au bien bon Monsieur Toto. J’ai prié le bon Dieu pour son beau-père. […] ». La lettre de James Pradier à sa fille n’a pas été retrouvée. En revanche, la lettre de Juliette Drouet à sa fille est la suivante : « Travaille, mon enfant chéri, ne t’inquiète pas, Dieu te tiendra compte de l’année laborieuse que tu viens de passer par le succès, je l’espère. En attendant, mon enfant béni, sois pleine de courage et de confiance. Je t’embrasse comme je t’aime ainsi que ma chère petite Charlotte. / Ta mère, J. Droüet. / 28 mai 45. Mercredi. / Fais tous mes compliments à la toute bonne Mme Marre. M. Foucher père a été enterré ce matin. Tu ne me dis pas si M. Dumouchel est allé à la pension ? » (B.P.U. Ms. fr. 1312) (Siler, t. III, p. 197).

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