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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 mai 1845

5 mai [1845], lundi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon Toto adoré, bonjour, mon petit homme chéri, bonjour, mon trésor, bonjour, le plus rare et le plus désiré des Toto, bonjour, je vous attends. Je vous attends en soufflant dans mes doigts, car il fait un froid de loup. Je voudrais que tu vinssesa un peu de bonne heure pour faire ton chiffre afin qu’Eulalie pût commencer tes mouchoirs aujourd’hui. Si tu veux qu’elle te porte le paquet de tapisseriesb, elle le fera avec empressement. Il faut bien enfin que tu les aies puisqu’elles sont toutes en bon état. Si je pouvais trouver quelque chose encore qui pût servir de prétexte à argent chez toi, je serais bien contente puisque c’est autant de fatigue de moins que cela t’ôte. Jour, Toto, jour, mon cher petit o, Papa est bien i, mais il le serait bien davantage s’il le voulait. Je ne m’explique pas davantage. Vous devez m’entendre à moins que votre nouveau chapeau ne vous ait durci l’oreille.
J’ai bien froid. Je crois que je n’ai jamais tant souffert du froid que cette année. Il me semble que je ne me réchaufferai jamais. Je crois que l’exposition de mon logis y est pour beaucoup. Quand je sors de ma chambre, je suis tout imprégnée d’une humidité glaciale. J’ai bien besoin que l’été arrive. Je vous dirai pour nouvelle que Fouyou a tué une souris dans la cuisine. Ceci n’est pas indifférent, car la maison en est pleine et je craignais qu’il ne fût pas bon pour ce genre de chasse. Je vois avec plaisir que je m’étais trompée. Je voudrais bien ne pas me tromper en pensant que vous viendrez tout à l’heure baigner vos beaux yeux et que vous me donnerez le temps de vous baiser un peu partout.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 133-134
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « tu vinsse ».
b) « le paquet de tapisserie ».


5 mai [1845], lundi après-midi, 4 h.

Tu ne veux pas que je t’écrive des lettres tristes, mon bon bien-aimé, c’est presque comme si tu me disais de ne pas t’aimer, de ne pas m’apercevoir de ton absence, d’être insensible à tout ce qui regarde mon amour. Je ne le peux pas, mon Victor, je ne le veux pas. J’aime mieux pleurer vingt-trois heures et demie sur vingt-quatre et sentir le bonheur ineffable de te posséder pendant une demi-heurea. L’un ne va pas sans l’autre comme tu sais. Le jour ne va pas sans la nuit, l’amour ne va pas sans chagrin. Seulement la nuit est plus ou moins longue selon le coin du globe qu’on habite. Le chagrin d’amour est plus ou moins vif selon le moment de la vie où on se trouve. Je crois que je m’exprime de façon à n’être pas comprise, et cependant ce que j’ai à te dire est bien tendre, bien doux, bien résigné et bien passionné. Je veux dire que j’aime mieux mourir de trop t’aimer que de vivre par l’indifférence. Mon Victor chéri, mon amour ravissant, jamais tu ne sauras comment et combien je t’aime. C’est au-dessus de tout ce que tu peux souhaiter et imaginer.
Tu seras resté à la séance entière [1], sans aucun doute. Demain ce sera jour d’Académie. Je n’ose pas te demander à me laisser t’y conduire. Cependant ce serait un moyen pour que je te voie quelques minutes de plus. Tu verras ce soir, mon amour, si tu peux me donner cette joie. Comment va ton cher petit pied ? J’espère que cela ne sera rien, mais il ne faut pas le trop fatiguer aujourd’hui. Vous savez que je suis votre médecin, eh bien ! je vous ordonne le repos auprès de moi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16359, f. 135-136
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « une demie-heure ».

Notes

[1Juliette évoque vraisemblablement une séance de la Chambre des pairs, les séances de l’Académie ayant lieu les mardis et jeudis.

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