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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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22 janvier [1849], lundi matin, 8 h. ½

Bonjour, mon Toto bien aimé, bonjour, comment allez-vous ? Et votre spectacle, comment s’est-il passé ? Avez-vous bien tout vu ? Quant à moi j’ai été malade comme un chien toute la nuit ; et, si ce n’était le désir de vous accompagner, c’est-à-dire d’être avec vous quelques instants, je serais restée dans mon lit. Il serait très possible même que je me couchasse aussitôt rentrée à moins que l’air, l’exercice et par-dessusa tout le bonheur de vous avoir vu ne m’aient guérie, ce qui ne serait pas impossible. D’ici là je peine, je grogne et je me dépêche de m’apprêter pour n’être pas en retard. Avec tout cela vous ne me rendez pas mes 11 francs 10 sous. Vous espérez que le temps aidant, ils passeront à la couleur bleue absolument comme les millions du gouvernement provisoire. Eh ! bien, vous vous trompez, mon cher petit filou ; je ne suis pas la république, moi, et je ne vous laisserai pas me grincher mes onze francs dix sous sans crier : au voleur, au pair de France, au gouapeurb, au représentant du peuple, à l’assassin, aux armes citoyens, à la garde…. républicaine. Je ne me laisserai pas dépouiller comme un simple agneau ou comme un prolétaire démocratique et social sans me venger plus souvent. Je mettrais plutôt le feu aux quatre coins de votre paletot, je vous forcerais à coucher avec moi. Il n’y a pas d’atrocités dont je ne sois capable et dont je ne serais coupable si vous m’y forcez en prolongeant plus longtempsc cet état de choses hideux. Songez-y et aboulez-moi tout de suite vos fonds les plus secrets. Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1849/26
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette

a) « pardessus ».
b) « goipeur ».
c) « long-temps ».


22 janvier [1849], lundi soir, 6 h. ½

Je me suis attardée chez la mère Sauvageot, mon adoré, à regarder en détail les pièces d’un trousseau de jeune mariée. Du reste elle n’avait pas de gants, mais elle en a fait demander pour demain parce qu’elle tient à lea vendre. Je n’ai pas cru devoir refuser son gracieux empressement malgré le besoin immédiat que tu en as. Demain donc j’y retournerai et j’espère trouver ce qu’il te faut. Je suis sortie triomphante de la longue et lourde tentation que tu as imposée à ma vieille probité aujourd’hui. Seulement je dois te prévenir de ne pas la renouvelerb souvent parce qu’on ne sait pas ce qui peut arriver, CE QUI PEUT ARRIVER, ce qui peut, ce qui peut arriver [1]. La chair est faible et les robes bon marché. Tout cela peut justifier bien des choses. En attendant, je voudrais bien que votre dévouement paternel pût s’abstenir ce soir. J’ai mauvaise opinion d’un souper de garçons où les filles servent ordinairement de hors-d’œuvrec et de pousse-café. Si vous m’en croyez, vous laisserez aller tout seulsd vos deux gamins qui n’en feront ni plus ni moins loin de votre autorité paternelle que sous vos ailes de papa. Vous pensez qu’au fond je ne suis pas la dupe de cette nouvelle CHAUMONTELLERIE [2] renouveléee de la garde nationale de Charles et de son cuirassier [3] qui n’était pas amusant…. pour moi surtout. Maintenant méfiez-vous, car il n’y a pire Juju que la Juju qui dort ou qui en fait le semblant. Je ne vous dis que cela.

Leeds, BC MS 19c Drouet/1849/27
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette

a) « te ».
b) « renouveller ».
c) « hors-d’œuvres ».
d) « seul ».
e) « renouvellée ».

Notes

[1Variation sur le refrain de plusieurs chansons populaires au XIXe siècle : « On ne sait pas ce qui peut arriver », comme celles de Coupart et de Protat (La Goguette ancienne et moderne. Choix de chansons, Paris, Garnier Frères, 1859, p. 188-192).

[2De Chaumontel : le nom est emprunté aux Petites misères de la vie conjugale de Balzac, qui parurent en 1846 (information aimablement donnée à Gérard Pouchain par Bernard Leuilliot). Le héros, Adolphe, essaie de justifier ses absences par « l’affaire Chaumontel » qu’il invente de toutes pièces, mais sa femme, Caroline, n’est pas dupe. Et Balzac d’avancer l’axiome : « Tous les ménages ont leur affaire Chaumontel. » Couailhac et Dugard en font une comédie-vaudeville en un acte, L’Affaire Chaumontel, créée le 14 octobre 1848 au Théâtre du Vaudeville (remerciements à Christophe Reffait pour cette information).

[3À rapprocher de l’expression « le carabinier de Charles ».

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