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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 janvier [1849], dimanche matin, 9 h. ½

Bonjour, mon Toto bien-aimé, bonjour, mon cher amour, comment ça vous va ce matin ? Encore au lit probablement ? Oh ! comme je voudrais avoir la liberté de rôder autour de vous ! Comme je vous retaperais vos oreillers, comme je reborderais vos couvertures, comme je vous moucherais, comme je vous ferais les blancs-de-poulet pour rire, comme je vous dorloteraisa, comme je vous baiserais, comme je vous aimerais ! Au lieu de cela il me faut vous gribouiller bêtement tous les jours d’insipides tendresses qui vous arrivent toutes froides et toutes rassisesb et qui ne sont plus bonnes à jeter au chien. Vous pensez si cela m’amuse. Enfin puisqu’il n’y a pas moyen pour moi de changer cet état de choses, je ferais mieux de m’y conformer que de rabâcher sans cesse les mêmes plaintes et les mêmes regrets.
Et mon gâteau, a-t-il eu du succès ? L’a-t-on bien goûté ? Si cela avait dépendu de moi je te l’aurais donné tout entier et avec joie. Pour moi les bonnes gobloteries n’ont de saveur qu’à travers ton cher petit bec. De même je ne peux être heureuse qu’en toi et par toi. Notre pauvre soirée a été attristée hier par l’arrivée de Louise qui annonçait que son père était plus malade et qu’on craignait une fluxion de poitrine. Cette nouvelle a fait éclater sa sœur [1] en sanglots et elles sont parties tout en larmes. J’espère pour ces pauvres enfants que le bon Dieu leur épargnera ce malheur et qu’elles en seront quittes pour l’affreuse inquiétude qu’elles ont euec. En attendant je te baise de l’âme avec dévotion. Tu es mon tout vénéré que j’aime et que j’adore.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1849/12
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette

a) « dorlotterais ».
b) « rassies ».
c) « eu ».


14 janvier [1849], dimanche, midi ½

Ce que je t’écrivais hier, mon adoré, je te l’ai écrit ce matin, ce que je t’écris maintenant, je l’écrivais dans le même moment, dans les mêmes termes et dans le même sentiment il y a huit jours, il y a un an, car depuis longtempsa ma position n’a pas varié et mon amour est toujours le même. Je pourrais donc me dispenser de t’écrire les phases de cette uniforme et monotone existenceb si je n’y trouvais pas une sorte de soulagement trompeur à ton absence et à mon impatience. Aujourd’hui par exemple il me semble que les pattes de mouches que je fais courir sur mon papier sont autant de pas que je fais vers toi et que je vais te trouver en chair et en os au dernierc angle de mon papier. Cette illusion me fait presser ma pensée pour arriver plus vite à ce cher et tant désiré but où tendentd toute mon âme, toutes mes forces et tout mon cœur. Je veux que tu trouves la maison toute prête à te recevoir, la table nette, l’ÉVIER débarrassé, les crayons, les encres, les sépias sous les armes et Mme Juju à son poste au coin de la cheminée. Si vous ne venez pas vous serez dans votre tort et j’aurai tous les droits possibles d’être la plus vexée et la plus malheureuse des femmes. Mais n’anticipons pas sur ce droit CONSTITUTIONNELe et humiliant. Attendons avec confiance et avec amour la venue du messie de notre cœur. Cela nous portera peut-être bonheur.

Juliette

Leeds, BC MS 19c Drouet/1849/13
Transcription de Véronique Heute assistée de Florence Naugrette

a) « long-temps ».
b) « existtence ».
c) « à la dernière ».
d) « tend ».
e) « CONSTITUTIONEL ».

Notes

[1Julie Rivière, la sœur de Louise.

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