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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 juin 1845

14 juin [1845], samedi matin, 8 h. ¼

Bonjour, mon cher bien-aimé adoré, bonjour, mon Toto ravissant, bonjour, comment vas-tu, mon cher amour ? Moi, je vais comme une pauvre Juju qui n’a pas vu son Toto de toute la nuit, c’est-à-dire que je suis très mouzonne. Cher adoré, qu’est-ce donc qui vous a empêché de venir cette nuit ? Ce n’est pas la crainte de me réveiller, toujours, car vous savez bien que je veux que vous me réveilliez plutôt deux fois qu’une et plutôt trois, quatre et cinq cent mille fois que deux. Tu auras travaillé, mon pauvre bien-aimé. Je le sais d’avance. Aussi je ne te grogne pas, je te baise et je t’aime de toute mon âme. Tu as eu tort de ne pas emporter quelques oranges. Tu les aurais trouvées cette nuit et cela t’aurait rafraîchia et fait du bien. Une autre fois je veux que vous m’obéissiez.
J’espère que tu dois être content, mon cher petit ver à soie. Voilà une température qui te va. Tu nages dans le soleil comme le poisson dans l’eau. Moi je sue et je rage dès qu’il fait un peu plus chaud que de coutume. Je suis très bête et très difficile à vivre. J’en conviens de toutes mes forces. Vos mouchoirs seront brodés tout à l’heure. On vous les lavera et on vous les repassera tout de suite afin que vous en jouissiez sans retard. Je garderai les chiffres originaux avec le plus grand soin, comme tout ce qui me vient de vous, et, si plus tard tu veux en faire recommencer, cela t’épargnera la peine de les redessiner. Jour, Toto, Juju n’est pas contente. Juju n’a pas vu son Toto. Juju est triste, Juju est malheureuse.

BnF, Mss, NAF 16359, f. 295-296
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « raffraîchi ».


14 juin [1845], samedi après-midi, 5 h.

Toujours pressé, mon Toto, toujours courant, toujours loin de moi, mon amour. À quelque heure du jour et de la nuit que je t’attends et que je t’espère, tu n’as jamais plus d’une minute à me donner. Voilà bien longtemps, bien trop longtemps que cet état de chose dure. Est-ce qu’il ne pourrait pas un peu changer à mon avantage ? Si tu savais, mon Victor adoré, combien c’est triste d’aimer dans le vide et dans la solitude, tu comprendrais mes plaintes et tu les ferais cesser tout de suite en m’apportant ta ravissante petite bouche à baiser à INdiscrétion. Mais, hélas ! il n’est pas probable que je te voie avant sept ou huit heures du soir. Trop heureuse encore si tu viens et si tu veux bien t’asseoir chez moi. Décidément c’est un triste métier que celui de vieille maîtresse. Mieux vaudrait se mettre une pierre au cou et se jeter à la rivière. Je m’en aperçois tous les jours et je t’assure que cela ne me fait pas rire, tant s’en faut, et j’ai plus souvent les larmes aux yeux que le sourire sur les lèvres. Je devrais ne pas t’en parler, mais c’est plus fort que moi. Je t’aime trop pour conserver le moindre sang froid et pour me garder d’aucun ridicule, et de celui de me plaindre de n’être plus aimée en particulier. Mon Victor bien-aimé, ta pauvre Juju est profondément découragée.

BnF, Mss, NAF 16359, f. 297-298
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

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