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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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18 avril [1838], mercredi matin 10 h. ½

Bonjour mon cher petit amoureux, comment allez-vous ce matin ? Moi je vais assez bien pour une femme délaissée. Je vais m’occuper de nous préparer pour le dentiste, après quoi Claire dînera et s’en retournera à la pension. J’espère qu’alors vous n’aurez plus de prétexte pour vivre en cénobite avec moi. Je suis furieuse au fond de l’âme, je dissimule ma rage et ma fureur mais je n’en suis que plus dangereuse, et quand cela éclatera Dieu sait ce qu’il arrivera. Il me semble que je viens de faire deux vers que Mr. Lassailly ne désavouerait pas ? Décidément j’ai plus d’esprit que je ne croyais et il ne tiendrait qu’à moi d’être aussi illustre que Mr. Viennet et aussi grande que Mr. Thiers. Je verrai à me faire une réputation, ça n’est pas aussi difficile qu’on veut bien le dire, pas plus que de faire une queue phalanstérienne autour du Théâtre Français le jour où on joue Marion de Lorme, pièce immorale, sépulcrale, gutturale et bicéphale. Voilà mon opinion politique et littéraire clairement formulée. En attendant ma gloire et mon triomphe je vous attends modestement rue St Anastase n° 14 avec toutes sortes de bons sentiments, y compris l’impatience qui ne me quitte que lorsque je vous tiens dans mes bras, c’est-à-dire rarement.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16334, f. 58-59
Transcription de Mathieu Chadebec assisté de Gérard Pouchain


18 avril [1838], mercredi soir 6 h. ½

Je ne sais pourquoi, mon amour, j’ai un vague pressentiment que vous êtes de quelque frairie ce soir. Si cela était vous seriez bien coupable d’accumuler tant de mensonges pour me le cacher. Il n’est pas impossible, si mon pressentiment devient plus tourmentant, que j’aille savoir où vous êtes, et vous savez que quand je m’en mêle je réussis assez bien. Je crains que le mauvais temps n’empêche les Lanvin de venir chercher Claire. Ce qui me contrarie c’est que ce matin on a rendu le lit de sangle, ce qui me forcerait de la coucher avec moi si tu ne reviens pas à temps pour que nous la ramenions nous-mêmes à sa pension. Quant à vous, mon adoré, cela vous fera plaisir, ce sera une occasion de plus de ne pas venir coucher avec moi et c’est toujours autant de gagné. Depuis que vous m’avez quittéea je suis tourmentée. Toute cette histoire de Rambuteau [1], votre barbe à faire, la nécessité de mettre un habit pour un homme qui ne viendra peut-être pas, et puis le frère de Bernard qui se mêle à tout cela, ne me semble pas clair, et il est probable que je vais prendre un cabriolet à mes jambes pour savoir au juste où vous êtes. Ce sera bien mal à toi si tu m’as trompée, moi qui t’aime tant.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16334, f. 60-61
Transcription de Mathieu Chadebec assisté de Gérard Pouchain

a) « quitté ».

Notes

[1Allusion probable au comte de Rambuteau (1781-1869), nommé par Louis-Philippe préfet de la Seine en 1833, puis Pair de France en 1835. Le jour même, Hugo s’exprime sur le vandalisme au Comité des Arts et Monuments.

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