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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 22 décembre 1851, lundi matin, 8 h. ¾

Bonjour, mon Victor bien trop aimé, bonjour, [crésus ?], bonjour, je [m’absorbe ?] à vos [chances ?], mais je ne vous conseille pas de vous associer aux miennes, dans aucun cas. Avec tout cela, mon petit homme, tu n’as pas vu Yvan et tu ne sais pas si la bière ne t’est pas défavorable. Ce serait pourtant bien absurde d’en boire si cela pouvait influer un mal [illis.] avec la facilité qu’on a d’avoir du vin à la bouteille. Je t’en prie, mon cher petit homme, tâche de voir ce monsieur aujourd’hui et de savoir cela le plus tôt possible.
Du reste, il fait un temps déplorable ce matin, il pleut, il fait froid, toutes choses qui te sont désagréables et nuisibles. Il serait bien important pour toi d’avoir un poêlea dans cette immense salle avant même d’y être entré. On pourrait faire faire du feu une fois ou deux pour étancher un peu l’humidité de la saison et de la non habitation. Je vois avec inquiétude avancer le jour de ton installation dans cette grande halle au milieu de l’hiver et presque sans moyen de te garantir du froid. Le chauffage sera difficile à entretenir dans cette espèce de place publique. Ajoute à cela notre éloignement l’un de l’autre qui rend toute ma sollicitude inutile et impossible. Si j’avais pu habiter près de toi, je t’aurais défendu de mon mieux contre tous les inconvénients de la saison et du dénuement, à force de soins et de précautions. Mais de loin, je ne peux que te les signaler sans les empêcher ou les atténuer par des moyens plus ou moins ingénieux. Cependant, dès que Suzanne sera ici, nous essaierons. D’ici-là, tu feras bien de voir le Docteur Yvan et de t’assurer que la bière ne peut pas faire de mal à ta gorge. Tu es mon adoré bien-aimé.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16369, f. 486-487
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « poêle ».


Bruxelles, 22 décembre 1851 après-midi, 2 h. ½

Deux heures et demi et pas de bien-aimé, cela promet pour un jour de dîner en ville. Pourtant je ne veux pas grogner, c’est bien assez de la maussaderie du temps et de l’ennui de la position sans y ajouter mes stupides rengaînes et mes absurdes roucoulements plaintifs. Le genre [illis.] n’est pas amusant en général. Le genre cocotte est plus agréable, en particulier je veux en essayer pour voir si je réussirai à me faire supporter avec moins d’impatience et de fatigue.
En attendant, il y a une difficulté de matelas qui nous forcera probablement à en acheter un à moins que ceux de Suzanne ne suppléent à tout. Mais ils sont bien étroits pour un lit [illis.] et puis ils n’arriveront que dans dix ou douze jours à cause du convoi à petite vitesse auquel on s’arrête par économie. Aujourd’hui, on a lavé ma chambre et achevé de déménager tout ce qui n’est pas à mon étage, mais il paraît que le calorifère ne pourra pas servir et qu’il n’a jamais pu servir. Enfin j’entrevois…
Justement te voici

7 h. ½

Tu as raison, mon doux adoré, tu as raison : toujours les jalousies rétrospectives ne sont pas tolérables et c’est surtout pour elles qu’on doit user de la prescription et des [gouffres ?] de l’arrivée. Ainsi fais-je à partir de ce soir. Je t’aime de [illis.] de nouveau et de frais comme si c’était le premier jour avec la même confiance, la même illusion et la même passion.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16369, f. 488-489
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette


Bruxelles, 22 décembre 1851, lundi soir, 7 h. ¾

Je suis seule, mon bien aimé, ces dames sont allées courir les marchands. M. Luthereau travaille en bas et moi je mets du noir sur du blanc avec la tranquillité d’une femme qui ne craint pas le ridicule pour elle et l’ennui pour son Toto. Cher petit homme, quoi qu’il arrive, je suis déterminée à coucher demain dans ma chambre. Je veux absolument que tu puisses t’arrêter chez moi sans être dérangé par les allées et venues de ces charmantes femmes que nous gênons et qui se gênent pour nous.
Mais voilà quelque chose de très heureux et qui diffère entièrement de la version de ces dames et que je ne m’explique pas. C’est que le petit poêlea brûle très bien. C’est M. [Aussemberg ?] qui me l’affirme séance tenante et qui hier encore en a fait l’expérience une partie de la journée. Il suffit d’y mettre beaucoup de petit bois en commençant pour l’allumer. Je ne comprends pas comment il se fait que les bonnes et ces deux dames aient cru le contraire. Enfin, raison de plus puisque ce calorifère peut servir pour m’installer dans ce petit logis. Mon Victor cette pensée me sourit et me fait sourire et je ne demande pas mieux que d’en faire un sujet de bonheur par la suite. En attendant je vous aime avec toutes les joies que vous voudrez et je vous permets de bien manger et de bien faire la cour aux belles filles flamandes qui ne demanderont pas mieux. Voime, voime croyez cela et buvez pas mal de faro [1].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16369, f. 490-491
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette

a) « poële ».

Notes

[1Faro : bière belge.

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