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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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Bruxelles, 18 décembre 1851, jeudi matin, 9 h. ½

Bonjour mon doux adoré, bonjour avec tous les sourires avec toutes les tendresses, avec toutes les consolations, toutes les joies, toutes les espérances et tous les bonheurs, bonjour.
Comment as-tu passé la nuit mon Victor ? Tu paraissais triste et préoccupé hier, mon pauvre petit homme, mais j’espère que tu seras plus tranquille quand tu auras revu ta chère femme ce soir [1]. Peut-être même est-elle déjà auprès de toi si elle n’a pas craint la fatigue d’une mauvaise nuit. Je le voudrais, si cela peut te rendre heureux et t’enlever tous les soucis et toutes les inquiétudes accumulés depuis quinze jours dans ton pauvre cœur. Je hâte de tous mes vœux l’arrivée de ta femme dans l’espérance qu’elle t’apportera de bonnes nouvelles. La tranquillité de ton esprit fait la sérénité de mon âme, ton sourire fait mon bonheur. Je ne peux être heureuse qu’à travers ta joie. Mon Victor, sois béni dans tousa ceux que tu aimes. Je t’adore.
Dès que tu seras libre nous nous occuperons de ton installation. Avec quel plaisir, avec quel amour je m’emploierai à arranger ton grand nid pour que tu y sois le plus commodément possible. Quel triomphe quand je te découvrirai quelques splendides zaillons pas chers ! D’y penser, le bric-à-brac me vient à la bourse. C’est grand dommage qu’elle soit si plate car je vous aurais fait des surprises des Mille et une Nuitsb. Pour cette fois, je me contenterai d’aller à la découverte et de vous [indiquer ?] les bonnes occasions.
Cher adoré, mon cœur va au devant de tout ce qui peut te faire supporter l’exil et la privation de tous chers bien aimés plus patiemment et plus courageusement, car je sens, d’après ce que j’éprouve pendant ton absence de quelques heures, ce que tu dois souffrir loin de tous ces êtres aimés.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16369, f. 472-473
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
[Massin]

a) « tout ».
b) « nuit ».


Bruxelles, 18 décembre 1851, jeudi soir, 11 h. ½

J’ai perdu tout espoir de te revoir ce soir, mon cher bien aimé, mais pour que ton absence pèse moins douloureusement sur mon cœur, je me rapproche de toi par la pensée et j’envoie mon âme auprès de la tienne pour la veiller, pour la garder et pour l’adorer. Tu as été bien loyal avec moi aujourd’hui, mon admirable bien aimé, et je t’en remercie avec tout ce que mon coeur a de plus délicat et de plus reconnaissant. Tout ce que tu voudras que je fasse je le ferai, dans l’intérêt de ton bonheur. Ne sacrifie rien pour moi si cela doit te laisser un regret ou un remordsa. Ma vie et ma mort, tout est à toi. Uses-en comme tu voudras, sans ménagement et sans scrupule, pourvu que l’une ou l’autre serve à ton bonheur, je te bénirai.
Mon Victor, mon glorieux et sublime persécuté, aie toujours confiance en moi quoi qu’il arrive, et ne crains pas de me demander les plus impossibles sacrifices. J’ai tous les courages parce que j’ai tous les amours et que je veux que tu sois heureux coûte que coûte. Aussi, tu peux tout exiger de moi, tu verras que je ne reculerai devant rien.
Mon Victor, mon bien aimé, en t’écrivant cela je sens mon âme prête à s’envoler au ciel pour t’en rapporter la suprême joie. Si tu savais comme je t’aime, tu comprendrais que ma vraie vie n’est pas dans la chaleur de mon sang, ni dans les battements de mon cœur, mais dans ton amour entier, heureux, exclusif, loyal et fidèle.
Mon Victor, mon tant aimé, mon trop aimé, ne m’impose pas à toi malgré moi et à mon insu car ce serait le crime le plus odieux, le plus impie et le plus inutile. Laisse-moi le droit de t’adorer, de t’admirer et de te bénir jusqu’à mon dernier soupir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16369, f. 474-475
Transcription de Bénédicte Duthion assistée de Florence Naugrette
[Souchon]

a) « remord ».

Notes

[1À la demande de Victor Hugo, Mme Hugo séjourne à Bruxelles les 18 et 19 décembre pour discuter d’une « foule de choses essentielles et impossibles à écrire. » (Lettre de Victor Hugo à Adèle, 14 décembre 1851, CFL, t. VIII, p. 950)

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