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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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14 février [1844], mercredi matin, 10 h. ½

Bonjour mon Toto bien aimé, bonjour mon adoré petit homme, bonjour, bonjour. Comment vas-tu ce matin ? Moi je vais bien, je vous aime, je vous adore et j’ai l’espoir de sortir avec vous tantôt. Il fait un temps charmant ; ce sera donc un plaisir pur de toute crotte et de tout barbotagea. Je suis sûre aussi que nous ferons grand plaisir à cette pauvre malade [1]. Tout cela, mon Toto, me rend toute gaillarde et toute joyeuse… Quel bonheur !!!b Pourvu, mon cher petit, qu’il ne vous survienne pas un tas d’anicrochesc qui vous empêche de me faire sortir. J’en ai une peur de chien au fond de mon cœur. Je ne serai sûre et heureuse que lorsque je vous tiendrai nez à nez dans la rue bras dessus, bras dessous.
Alors, mais seulement alors, je pourrai commencer à croire à la réalité de mon bonheur. En attendant, je vis dans une atroce anxiété n’osant pas me livrer à une joie anticipée. À propos de joie et de nez, je trouve celle et celui qu’on prépare à ce pauvre Charlot pour dimanche parfaitement féroces et ridicules. C’est pousser un peu trop loin l’amour de la couleur carnavalesque que de forcer ce pauvre Charles à endosser cette trompe cartonnée. Sous prétexte de pensum, un DIMANCHE GRAS !!! J’en rappelle mon président gendarme : qu’on me guillotine mais laissez-moi mon dimanche gras [2]. Ce cri de la nature doit attendrir les cœurs les plus féroces, même celui d’un père et d’un maître d’école. Je vote les circonstances atténuantes et je le condamne au dimanche gras à perpétuité. Mon petit Toto, je lèche vos sacrées bottes. Laissez-vous, laissez-vous, laissez-vous attendrir.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 173-174
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) « barbottage ».
b) Les points d’exclamation se poursuivent jusqu’à la fin de la ligne.
c) « annicroches ».


14 février [1844], mercredi soir, 9 h.

Quelle ravissante promenade, mon cher petit, et quel temps charmant pour la faire nous avons eu aujourd’hui ! J’aurais donné des années de ma vie pour pouvoir encore la prolonger encore de quelques heures. C’est si doux de se sentir vivre en toi, par toi et sous ton regard. Hélas ! pourquoi faut-il que ce bonheur soit si court et si rare ! Cependant, je ne me reconnais pas le droit de me plaindre aujourd’hui. Nous avons fait en même temps une bonne action envers cette pauvre mourante [3]. Chaque fois que tu pourras m’y conduire, tu le feras mon bien-aimé. Ce sont les dernières lueurs de ce monde et les dernières joies cordiales que nous lui apportons à cette pauvre créature. Je sens que je te dis cela tout de travers mais tu as l’habitude de démêler ma pensée à travers tous les embrouillaminis de mots et de lapsus-linguae, oh ! Quelle audace de la pauvre Juju.
Jour Toto, jour mon cher petit o, papa est bien i, papa fait bien sa barbe pour venir se promener avec moi. Voime, voime, papa est un animal. Regardez ce cochona et dites-moi si vous ne le trouvez pas très ressemblant. On dirait un académicien à s’y méprendre. Sur ce baisez-moi et faites-vous faire le poil pour de meilleures occasions. En attendant, je suis toujours très reconnaissante de la promenade que vous m’avez fait faire tantôt et je serai trop heureuse que vous m’en fassiez faire souvent de pareilles et au même prix.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16354, f. 175-176
Transcription de Chadia Messaoudi assistée de Chantal Brière et Florence Naugrette

a) Dessin de cochon :

© Bibliothèque Nationale de France

Notes

[1Mme Pierceau

[2Allusion à élucider.

[3Référence à Mme Pierceau

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