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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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6 décembre [1843], mercredi 10 h. ½

Bonjour mon Toto bien-aimé, bonjour mon cher petit homme. Bonjour, comment vas-tu, mon amour ? As-tu pris un peu de repos cette nuit ? As-tu pensé à moi ? M’as-tu regrettéea ? M’as-tu désiréeb ? M’as-tu aiméec ? Je saurais bien que répondre à ces quatre dernières réponses si tu me les faisais. Mais toi mon cher petit tu serais peut-être obligé d’y regarder à deux fois avant de répondre affirmativement. Je voudrais pourtant savoir comment tu vas aujourd’hui. Je ne te demande pas de venir car cela ne me réussi jamais, pas plus que de te demander à sortir. Je rengaine mes suppliques comme inutiles et comme ennuyeuses. Je me borne à désirer humblement que tu viennes le plus tôt que tu pourras.
Je vais me dépêcher de me lever et de m’habiller. Je suis encore en retard aujourd’hui comme je le suis tous les jours parce que je me couche tard. Aujourd’hui j’aurai la blanchisseuse. C’est un tas de petits triquemaques de ce genre qui prennent le meilleur de ma journée. Je vais me hâter afin d’être si par IMPOSSIBLE tu venais me chercher pour sortir. Voime, voime, je ferai très bien d’avoir cette précaution, cela me fera une belle jambe au bout de l’année. Taisez-vous vilain, vous devriez frémir d’indignation devant vous-même car vous êtes un fier scélérat. Je vous ébourifferai vos rouleaux. Soyez tranquille je n’ai pas besoin moi que vos rouleaux chauffent pour d’autres fours que le mien. Tiens, tiens, tiens, tiens, c’est pas la peine. Aussi, la première fois que je vous en verrai je sauterai dessus comme une tigresse et je vous les effaroucherai tous. Vous aurez beau crier : Juju je vais te chatouiller, ce sera comme si vous chantiez femme sensible [1].

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 133-134
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « regretté ».
b) « désiré ».
c) « aimé ».
d) « ébourriferai ».


6 décembre [1843], mercredi soir, 8 h. ¼

Tu as bien fait, mon cher adoré, de me conduire chez la pauvre Mme Pierceau et surtout de m’y laisser. C’est un peu de joie et de distraction que je lui ai apporté, du moins elle a l’amabilité de me le faire croire. Et puis, nous parlons de toi, et après le bonheur de te parler à toi-même il n’y en a pas de plus grand pour moi que de parler de toi.
Je t’écris sur du beau papier marqué au chiffre de la mère Pierceau. Fichtre ça n’est pas de la petite bière.
M. Desmousseaux a eu la bonté de s’occuper du Garnier mais quand il en est venue à terminer l’affaire le hideux huissier a refusé tout net en disant qu’il ne voulait pas de soixante francs. M. Démousseau a tenu bon de sorte que l’affaire est moins terminée que jamais. C’est ennuyeux de toute façon et je ne comprends pas ce que cet homme espère en refusant une proposition aussi magnifique pour une créance aussi douteuse que la sienne. Tout cela n’est rien moins que gaia et j’ai grand besoin de parler de toi pour oublier cet incident désagréable.
Que fais-tu, mon bel ange, où es-tu, as-tu fait ton petit dîner ? Moi j’ai fait le mien. J’ai mangé comme une ogresse et je crois que je n’ai pas peu contribué à lui donner un peu d’appétit (à Mme Pierceau).
Voilà, mon Toto adoré, ce que j’ai fait jusqu’à présent. C’est y bien triminel ? Je vous permets de l’être autant que moi, pas plus par exemple ou je vous fiche des coups et je vous défrise vos beaux rouleaux. Pensez à moi, je le veux et venez me chercher le plus tôt possible. Je ne veux pas que vous me laissiez fatiguer cette pauvre mère Pierceau au-delà des forces et de la patience humaine. Et puis si vous n’êtes pas trop fatigué, nous reviendrons à pied. C’est si bon de marcher, de respirer, d’aller, de vivre avec toi que jamais je n’en ai assez. Je t’aime toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16353, f. 135-136
Transcription d’Olivia Paploray assistée de Florence Naugrette

a) « gaie ».

Notes

[1« Femme sensible », air de Méhul, paroles d’Hoffmann dans l’opéra Ariodant créé à l’Opéra-Comique en 1799.

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