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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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16 décembre [1842], vendredi matin, 11 h. ½

Bonjour mon cher petit bien-aimé. Bonjour mon ravissant petit homme. Bonjour, je t’aime. Tu es toujours le bon petit Toto blagueur de tous les mois, tu ne te lassesa pas de cette petite bouffonnerie périodique, tu es très gentil, trop gentil, si on peut l’être trop et tu as trouvé moyen de dépasser les bornes possibles dans ce genre. C’est égal, baise-moi, je t’aime comme ça, je t’adore ainsi. Cela ne m’empêche pas d’avoir fait des rêves affreux toute la nuit, mes inquiétudes de la journée deviennent dans le sommeil d’affreux cauchemars pendant lesquels je suis la plus malheureuse des femmes. Cette nuit entre autres, j’ai été affreusement agitée. J’espère que cela n’est pas significatif et que vous êtes le plus innocent et le plus fidèle des hommes ! N’est-ce pas que j’ai raison d’avoir cette confiance en toi, mon adoré ? Baise-moi pour que j’en sois encore plus sûre.
Vous savez, mon Toto, que d’ici à trois ou quatre jours, il n’y aura pas de bande sur l’affiche [1]. Et que vous pourrez faire votre rentrée triomphale ou triomphante selon vos moyens dramatiques et AUTRESb. Je vous préviens de ceci afin que vous ne prolongiez pas la mystification des fureurs de l’amour [2] jouée devant les banquettes et sans la moindre illumination. Maintenant que vous voilà prévenu, nous verrons si vous arriverez à votre réplique. J’en doute, au risque de jurer devant la reine. D’ici là, je vous permets de faire et de dire toutes les garçonneries qui vous passeront par la tête afin de ne pas vous décourager et de ne pas vous humilier dans votre dignité d’homme.
Baisez-moi, mon cher petit bien-aimé, je vous aime et je vous pardonne tous vos trimes à la condition que vous me serez bien fidèle et que vous m’aimerez toute ma vie.
Si vous allez à la répétition, tâchez d’y être le moins longtemps possible et de revenir auprès de moi qui vous désire tant et qui vous voit si peu. Pense à moi, mon cher bien-aimé, comme je pense à toi et aime moi un peu, moi qui t’aime de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 289-290
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « lasse ».
b) « AUTRE ».


16 décembre [1842], vendredi soir, 4 h.

Vous êtes venu, mon cher petit bien-aimé, pas assez pour me donner du bonheur et beaucoup trop pour me laisser d’affreux regrets. Vous étiez frais et pimpanta comme un jeune homme qui va à son premier rendez-vous. Pour un vieilb académicien que vous êtes, cela ne devrait pas être permis. On ne vole pas ainsi son public, la police devrait s’y opposer au nom de la sécurité publique et privée. Il paraît que vous avez rencontré mon MERLAN [3] sur lequel vous avez produit le même effet que sur moi et qui m’a assuré ne pas vous RECONNAÎTRE, FLATTEUR ! Du reste, j’ai été avec lui très circonspecte, ainsi que tu me l’avais recommandé et je serai toujours ainsi parce que c’est la bonne manière dans tous les cas et surtout dans celui-ci.
Je vais envoyer acheter ta brosse. J’attends tes bottes, tu auras tout cela ce soir. Je ne pense pas que j’aie assez pour payer pénaillon demain. Aujourd’hui encore, j’ai acheté deux paniers dont je ne pouvais pas me passer : un pour monter le bois que la bonne jusqu’ici montait dans son tablier et qu’elle me déchirait en lambeaux, l’autre pour aller au marché parce que le sien était défoncé depuis longtempsc, j’en ai eu tout de suite pour 4 F. 10 s. Mon corset blanchid et un lacet neuf : 7 F. Tout cela fait une bûche avec l’argent de Mignon hier. Ce qui ne m’a pas empêchéee de ne dépenser pour la nourriture aujourd’hui que dix-huit sous et deux liards, hier vingt-huit, avant-hier quarante-cinq. Mais ce que j’économise d’un côté, le diable l’emporte de l’autre, si bien que je suis toujours à court d’argent et que tu es forcé de travailler jour et nuit pour m’en donner. Comment faire, mon pauvre ange, dis le moi et je m’empresserai de le faire avec joie si cela doit te soulager et te reposer. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 291-292
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « pinpant ».
b) « vieux ».
c) « long-temps ».
d) « blanchit ».
e) « empêché ».

Notes

[1Juliette indique par cette métaphore que ses règles seront bientôt terminées. En effet, les théâtres faisaient poser une bande sur l’affiche du spectacle du jour pour indiquer un changement d’acteur (suite à une indisposition d’un artiste).

[2Les Fureurs de l’amour est une courte pièce, sous-titrée « Tragédie burlesque en un acte et en vers », écrite par Joseph-Henri Flacon Rochelle (1781-1834). Un roman nommé Les fureurs de l’amour et de la vengeance, dont l’auteur n’est pas déterminé, parut également en 1826.

[3Mot d’argot désignant un coiffeur, un perruquier.

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