Université de Rouen
Cérédi - Centre d'étude et de recherche Editer-Interpréter
IRIHS - Institut de Rechercher Interdisciplinaire Homme Société
Université Paris-Sorbonne
CELLF
Obvil

Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1837 > Décembre > 14

14 décembre [1837], jeudi, midi ¼

Bonjour mon Toto bien aimé. C’est encore mon tour d’attendre ? Mais je veux parler d’autre chose, car vraiment je dois te sortir par les yeux avec mes doléances.
Il fait un froid de chien. Je voudrais que tu passes me mener chez Mlle Hureau aujourd’hui. Cela devient plus urgent de jour en jour et, quoique souffrante, si tu as un moment tantôt je me résignerai à sortir.
Cette nuit j’ai compté l’heure jusqu’à 5 h. du matin Je ne me suis endormie qu’après. Aussi suis-je à jeter contre le mur. J’ai beau faire la fanfaronne et prendre du courage quand tu es là, je le perds aussitôt que tu es parti et mes frayeurs reprennent le dessus. Je voudrais que tu fusses dehors de [1] cette espèce de coupe-gorge dans lequel tu t’es embarqué [2]. Je ne serai vraiment tranquille que lorsqu’on n’en parlera plus. Et ta santé, mon Dieu ? Je n’ose pas y penser. Pas un instant de repos ni le jour ni la nuit. Il faut que tu sois de fer et que mon amour te protège car tout autre que toi serait depuis longtemps hors de combat. C’est une victoire que je ne célèbre pas trop haut [3] dans la crainte de nous attirer toutes les maladies que je redoute et qui ont l’oreille si finea qu’elles viennent même quand on ne les appelle pas.
Je t’aime mon Victor bien aimé. J’ai bien de la peine à te le dire sans me plaindre puisque c’est de mon amour que je souffre. Mais que ce petit cri de douleur à moitié étouffé ne t’empêche pas d’entendre : je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 169-170
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) « fines ».


14 décembre [1837], jeudi soir, 10 h. ½

C’est toujours à mon tour de t’admirer et de t’aimer et je peux dire quea la manière dont je m’en acquitte prouve que je ne me fatigue pas à la besogne bien qu’elleb soit grande et qu’elle dépasse les bornes de l’admiration et de l’amour de toutes les femmes. Je ne sais pas si ce que je veux dire se fait comprendre mais moi je sais bien que je te trouve admirablement digne, noble, grand et généreux et que je ne t’aime pas à cause de cela parce que je t’aime sans raison autre que celle de t’aimer, mais je t’admire parce que tu es au-dessus de nous tous.
Mme P [4]. est partie. Elle n’a pas été très communicative. Peut-être ne savait-elle rien. Dans tous les cas cela importe peu.
Chère âme de mon âme, j’ai bien besoin de me trouver face à face avec toi. Il y a si longtemps que nous avons entre nous des procès, des affaires, des stupidités et des absurdités de tous les calibres qui obstruent notre bonheur et nous empêchent de nous livrer à nos petits festins [5] du matin. J’ai bien besoin que cela finisse et de reprendre nos habitudes [6]. Si vous ne sentez pas comme moi c’est que vous ne m’aimez pas et c’est très mal. Je vous aime tant, moi. Je vous suis si fidèle et si dévouée et puis je t’aime de toutes mes forces et de toute mon âme.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16332, f. 171-172
Transcription de Sylviane Robardey-Eppstein

a) Après ce mot : « je » (redondant).
b) « quelle ».

Notes

[1« Dehors de » : « sorti de ».

[2Voir les lettres précédentes : allusion à une affaire qui implique un certain M. et un groupe de personnes (probablement les de Wailly), avec lesquels Victor Hugo a un différend. Juliette craint que cela s’envenime au point d’aboutir à un duel (voir la lettre du 11 décembre au soir).

[3Allusion au procès contre la Comédie-Française, que Hugo vient de gagner (le 12 décembre).

[4Mme Pierceau.

[5Le soulignement du mot en désigne le sens coquin.

[6Idem.

SPIP | | Plan du site | Suivre la vie du site RSS 2.0
(c) 2018 - www.juliettedrouet.org - CÉRÉdI (EA 3229) - Université de Rouen
Tous droits réservés.
Logo Union Europeenne