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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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7 novembre [1842], lundi matin, 10 h.

Bonjour mon Toto bien aimé et chéri. Bonjour mon cher amour adoré, comment vas-tu, comment as-tu passé la nuit ? Il fait bien bien froid. Es-tu bien couvert dans ton lit ? As-tu du feu dans ta chambre ? Tout cela est bien important pour les douleurs. Je crains toujours que tu ne te laissesa avoir froid. Tu devrais faire faire du feu couvert par du poussier [1] de charbon. De cette façon, il se conserverait toute la nuit et à température égale. Enfin, mon pauvre adoré, tu devrais prendre toutes les précautions qui peuvent te préserver du retour de ces vilaines douleurs.
Voilà un bien vilain temps et qui doit faire bien du mal à mon pauvre père [2]. J’ai presque un remordsb de conscience d’avoir poussé cette femme [3] à une explication, sans bons résultats dans aucun cas et qui peut être funeste pour le bon vieillard. J’ai cru bien faire. Si je me suis trompée, j’en demande pardon à mon pauvre père.
Mme Lanvin est venue elle-même chercher Claire pour ne pas faire perdre le temps à son mari. Elle va revenir tout à l’heure déjeuner avec moi. Je vais me lever et m’apprêter comme à l’ordinaire. Plus tôtc tu viendras me prendre, mieux ça vaudra car je ne suis pas sans inquiétude sur cette explication. Je tremble que cette femme n’abuse de la faiblesse de ce pauvre malade. Je suis vraiment bien malheureuse d’avoir eu à me mêler de ça bien malgré moi. Quant à ce petit don de mon père, tu as très bien trouvé l’emploi qu’il en fallait faire dans tous les cas et je suis très tranquille maintenant à ce sujet. Que mon pauvre père meure tranquille et sans secousse douloureuse, si le bon Dieu lui a compté ses jours, voilà la prière que je fais pour lui du fond du cœur. Je t’aime, mon Victor. Tu es mon guide, mon ami, mon amour, ma vie, mon âme, mon tout. Sois heureux et béni. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 201-202
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « laisse ».
b) « remord ».
c) « plutôt ».


7 novembre [1842], lundi soir, 9 h. ½

Je viens de venir avec la Cocotte qui est toujours une très ravissante petite bête ; je n’en suis pas jalouse, quoique vous en disiez, parce qu’elle a les mêmes tendresses pour moi que pour vous et que je suis aussi avant que vous dans son bec et dans ses bonnes grâces.
Eulalie est encore restée un petit moment à la maison. Il a encore été question de mon père et de sa femme, toujours dans les mêmes termes. Combien je regrette, mon cher bien-aimé, d’avoir poussé à cette explication qui ne devait aboutir qu’à mettre mon pauvre père hors de lui, qu’à lui ôter une de ses dernières illusions, sans résultat et sans profit pour ceux que mon père avaita vus. Je suis vraiment très fâchée d’avoir contribué pour ma part à cette horrible crise d’aujourd’hui. Mais d’un autre côté, comment pouvais-je l’éviter avec la part de responsabilité que mon père m’avait donnée dans cette affaire ? J’ai dû faire ce que j’ai fait, mais ça n’en est pas moins très pénible et je voudrais pour beaucoup n’avoir pas été mêlée à ce hideux débat entre un mourant honnête et une vieille voleuse exubérante de santé et de mauvaise foi. Enfin, le bon Dieu l’a voulu. Justement te voici, mon pauvre amour. Tant mieux.

Mardi 8 novembre [1842], après-midi, 3 h. ½

Voici Eulalie qui te rapporte ton quatrième caleçonb. Jeudi, tu auras tes manches. Tu vois qu’elle ne tardera pas longtempsc à les faire. J’attends la mère Lanvin avec une inquiète impatience, tu devines pourquoi. Cette secousse a été si violente hier qu’elle n’a pu qu’augmenter le mal, ou le diminuer en supposant un de ces heureux hasards, malheureusement très rare et trop peu probable. Enfin, à la volonté de Dieu. Il y a si longtemps que le pauvre homme souffre qu’il y a presque de l’inhumanité à lui souhaiter la vie à ce prix-là.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 203-204
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « avaient ».
b) « calçon ».
c) « long temps ».

Notes

[1Poussier : fines particules de carbone.

[2L’oncle de Juliette, René-Henry Drouet, est gravement malade et hospitalisé aux Invalides. Juliette, qui le chérit et l’appelle son père, a à cœur d’aller lui rendre visite régulièrement.

[3L’oncle de Juliette s’est mis en ménage avec une certaine dame Godefroy dès 1816, qui le soignera durant la fin de sa vie.

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