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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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5 novembre [1842], samedi matin, 9 h. ½

Bonjour mon cher bien-aimé, comment vas-tu ce matin, mon pauvre ange ? Je suis tourmentée de te savoir si souffrant ; cette nuit je me suis réveillée d’heure en heure avec cette pensée et espérant cependant que tu viendrais te reposer auprès de moi et te faire dodinera [1] par ta vieille Juju. Comme tu n’es pas venu ma crainte est que tu ne sois plus malade. Je serai tourmentée et malheureuse jusqu’à ce que je t’aie vu. Tâche que ce ne soit pas très longtempsb. J’espère que tu pourras me conduire auprès de ce pauvre vieillard [2] tantôt. Ce sera probablement la dernière fois et je voudrais lui donner ce plaisir car je suis sûre que ce sera et pour lui et pour moi une espèce de consolation. Je compte sur toi, mon amour chéri, à moins, ce que je n’ose prévoir, que tu sois plus souffrant qu’hier. J’ai hâte de te voir, mon cher bien-aimé, comme toujours mais avec un sentiment de crainte de plus.
Il est triste pour cette pauvre petite Cocotte d’être arrivée dans un mauvais moment car toutes ces petites gentillesses sont perdues. Elle est vraiment charmante et pleine de douceur et de tendresse mais j’ai une peur de CHIEN que le CHAT n’en fasse un déjeuner au premier jour. D’abord avec mon système, il doit lui arriver malheur parce qu’elle est venue un VENDREDI, témoin ma belle bouteille d’or que je regretterai toujours. Je crois que le plus sage serait de donner , ce serait une chance de plus de conserver Cocotte. Mais d’un autre côté, ce pauvre Fouyou est bien gentil et fait les délices de Suzanne. Gardons donc les deux petites bêtes et faisons bonne garde. Voici le temps qui s’éclaircit un peu, cela te permettra peut-être de me conduire sans danger d’augmenter ton rhume. Je vais me lever et m’apprêter dans tous les cas. J’ai ce mal de tête affreux, je ne sais pas comment je peux y tenir depuis hier. Plus je vais et plus j’ai mal à la tête, voilà deux mois pendant lesquels je n’ai pas eu six jours de bon. C’est vraiment bien ennuyeuxc. Je voudrais bien connaître un remède à cet affreux mal. Je l’emploierai avec empressement. Je t’aime, toi, ne sois pas malade.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 193-194
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « daudiner ».
b) « long-temps ».
c) « ennuieux ».


5 novembre [1842], samedi soir, 8 h.

J’ai le cœur plein de tristesse et de sentiments ineffables pour toi, pour mon père et pour Dieu. Je voudrais pleurer et prier et je sens que je t’aime par-dessus tout. Je t’aime dans le bonheur, je t’aime dans la tristesse, à toute heure devant Dieu, je t’aime et je te bénis.
Tu comprends sans peine, mon cher adoré, combien cette dernière marque de bonté paternelle de ce bon vieillard m’a touchée jusqu’au fond de l’âme. Si on pouvait prolonger sa vie aux dépensa d’une partie de la mienne, je le ferais et tu me le permettrais car tu sais tout ce qui est noble et généreux, c’est à dire tout ce qui est probité et reconnaissance. À ce compte là, mon père aurait bien des années devant lui. J’ai le cœur si plein, mon adoré, que rien n’en peut sortir, tout déborde dans mon âme. Je ne trouve rien à dire. Je sens que mes mots n’exprimenta rien. Je souffre beaucoup de la tête, je suis bien fatiguée de toute manière. Pardonne-moi, mon adoré, si ma lettre se ressent du trouve et de l’agitation dans laquelle je suis. J’ai hâte d’être à demain. Je veux que ma fille reçoive la bénédiction de ce bon vieillard. Il me semble que cela la rendra meilleure et lui portera bonheur. Et puis, comme tu l’as pensé si sagement, mon bien-aimé, peut-être a-t-il le besoin de voir sa propre fille [3] et alors nous ferons tout ce qui dépendra de nous pour lui donner cette dernière satisfaction. Je tremble que ce mauvais temps ne hâte ces derniers moments. Je pense qu’il avait les mains bien froides tantôt. Mon Dieu, faîtes que nous le voyons encore une fois et je vous remercierai toute ma vie. Prends garde, mon Victor bien aimé, de prendre l’humidité et du froid en venant. Enveloppe-toi bien et pense à moi et à ce que je deviendrais si tu étais malade. Je serais pleine de crainte. Cette année a été si mauvaise pour nous depuis le commencement que j’ai peur pour la fin. Hélas ! Une partie de mes craintes n’est déjà que trop justifiée. Aussi, mon Toto, je t’en prie, prends soin de toi.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16350, f. 195-196
Transcription de Laurie Mézeret assistée de Florence Naugrette

a) « n’exprime ».

Notes

[1Dodiner : bercer, choyer.

[2L’oncle de Juliette, René-Henry Drouet, est gravement malade. Juliette, qui le chérit et l’appelle son père, a à cœur d’aller lui rendre visite régulièrement.

[3Eugénie-Constance Drouet, cousine de Juliette.

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