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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

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6 avril 1837

6 avril [1837], jeudi matin, 11 h. ¼

Bonjour un vieux blagueur, vous êtes joliment venu, n’est-ce pas ? C’était pourtant le cas de se tenir [illis.] l’un dans l’autre aujourd’hui. Je vous écris de mon lit où je suis, Suzette étant levée et pouvant aller et venir. Je vous écris sur du papier [illis.] parce que la vieille bonne femme n’a pas su trouver le papetier ordinaire. Félicitez-vous c’est autant de moins à lire et c’est autant de gagné pour vous. Quelle différence de votre manière d’aimer à la mienne, moi je vous aime tout à fait bien et comme on doit aimer, vous vous aimez à me voir le moins souvent possible, je ne parle pas des autres devoirs d’amour dont vous ne vous soucier pas plus que si j’avais 75 ans. C’est bien mal à vous car vous me faites perdre mon temps, mon amour et beaucoup de jeunesse et puis vous me faites beaucoup de mal et beaucoup de chagrin. Cependant je vous aime toujours autant sinon plus et je donnerais ma vie pour vous. C’est bien vrai je t’aime, je t’aime. Pourquoi donc n’as-tu plus d’amour, toi ? Dis, méchant, si tu l’oses.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16330, f. 22-23
Transcription de Chantal Brière


6 avril [1837], jeudi après-midi, 3 h. ½

Je ne veux pas que vous [vous] habituiez à n’avoir que deux lignes de moi, vous ne pourriez plus après digérer mes interminables gribouillis. Aussi je vous écris sur une feuille entière après vous en avoir déjà donné en manière de passe-temps une demia-feuille ce matin. Je me suis levée fort tard, je me sentais et me sens encore très souffrante. Le temps et l’équipée d’avant-hier y sont pour quelque chose, que je crois. J’ai mal à la tête et au cœur. Si je ne croyais pas que tu vas venir bientôt et que tu pourrais avoir l’intention de me faire sortir, je me recoucherais. Jour mon petit o. Jour mon cher bien-aimé. Si tu savais je t’aime ; dans le fond de mon cœur l’amour y fait un printemps perpétuel ; toutes les voix de mes sens y chantent un hymne en ton honneur. Et quand tes yeux me regardent le soleil rayonne, il n’y manque rien, c’est ravissant. Pauvre bien-aimé, je pense avec tristesse que tu as passé cette nuit ainsi que les autres pour me gagner de l’argent à cause du terme prochain. Il est vraiment révoltant qu’un homme comme toi soit obligé de prendre sur son repos et sur sa vie l’argent nécessaire à la mienne. Il me prend des scrupules qui me feraient refuser ton dévouement si je ne croyais pas que je suis autant nécessaire à ton bonheur que tu l’es au mien. Il y a des moments de pitié pour toi qui me feraient fuir à l’autre bout du monde pour t’empêcher de continuer ce travail opiniâtre de toutes les nuits. Car mon noble et généreux Victor s’il faut du courage et de l’amour pour se dévouer il n’en faut pas moins pour accepter le dévouement et si je ne craignais pas d’être injuste envers toi je dirais qu’il en faut plus. Quand donc te reposeras-tu, mon Dieu ? Quand donc travaillerai-je pour moi et pour toi ? Je dis pour toi car tout ce qui t’enlèvera une heure de travail sera une heure de bonheur que je nous donnerai. Oh ! Quand donc, quand donc viendra ce moment tant désiré ? J’ai bien besoin de te voir, mon cher bien-aimé, je suis triste et malade. J’ai le cœur trop plein d’amour et qui demande à déborder dans le tien. Tâche de venir le plus tôt possible, ce sera une bonne action et un grand bonheur que tu me feras.

Juliette

BnF, Mss, NAF, 16330, f. 24-25
Transcription de Chantal Brière

a) « demie ».

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