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Édition des Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo - ISSN : 2271-8923

Accueil > Lettres de Juliette Drouet à Victor Hugo > 1835 > BnF, Mss, NAF 16324, f. 156-157

Vendredi soir, 8 h. ¾

J’ai été bien méchante ce matin, mais je me suis bien repentie depuis : d’ailleurs, mon pauvre cher bien-aimé, pourquoi m’en voudrais-tu, ma méchanceté n’est jamais que la manifestation d’une grande douleur, d’un violent chagrin qui ne prennent leur source que dans ce que je crois mon amour méconnu et ton estime éteinte à tout jamais dans ton âme.
Mais après, quand j’ai réfléchia, quand je retrouve autour de moi les preuves d’amour sans nombre que tu m’as donnéesb et que tu me donnesc tous les jours, je sens bien qu’il est impossible que tant de dévouement ne s’appuie pas sur un peu d’estime. Alors je me calme, je souffre moins et je n’ai plus la moindre méchanceté, au contraire. Je suis plus bonne et plus aimante que jamais. Il n’est pas de bonnes choses dont je ne sois capable pour obtenir seulement un regard de toi. Tu me demandes quelquefoisd si je t’aime. Mon Victor, pour bien te le dire, il me faudrait des mots que la langue humaine ne peut pas prononcer, mais que l’âme sait et dit couramment tout haut et toujours.
Mon cher petit Toto, tu ne sais pas combien j’avais besoin de réparer mes torts de ce matin. J’ai été ravie quand tu m’as eu pardonnéee tantôt dans cette église. J’ai dans la reconnaissance de mon cœur adressé une fervente prière au bon Dieu qui voit le fond des cœurs et qui a eu tout à l’heure pitié du mien.
Mon pauvre Toto, cette affreuse guenille de portière se dévoile de plus en plus. Quand je te verrai, je te raconterai en détails la commission qu’elle m’a fait faire par Hélène. Tu verras ce qu’il faudra en faire.
Mon pauvre amour, je t’attends. Il me semble toujours qu’il y a très longtemps que je ne t’ai vu, que je suis tout à fait dans mon droit en me faisant triste et malheureuse de ton absence. C’est que je t’aime tant, que les minutes d’attente sont des siècles de souffrances, et les journées de bonheur ne sont plus que des secondes tant elles passent vite. Toi, tu n’es pas comme ça, tu supportes très bien mon absence, et le bonheur d’être ensemble ne te semble pas aussi fugitif qu’à moi. C’est que tu ne m’aimes pas autant que je t’aime, c’est que tu n’as pas fait de ton amour, ta vie, ta pensée, ton souffle. Mon cher petit Toto, j’ai des moments bien pénibles et bien tristes à passer dans ma vie. Ce sont ceux où je suis séparéef de toi et où je doute de ton amour. Mon pauvre petit amoureux, je ne veux pas vous faire des reproches dans une lettre toute de remords et de regrets, mais convenez à votre tour que vous avez été bien maussade et bien méchant hier au soir, convenez-en – allons – et que tout le monde s’embrasse et que rien ne finisse. Je t’aime.

Juliette

BnF, Mss, NAF 16324, f. 156-157
Transcription de Jeanne Stranart assistée de Florence Naugrette

a) « réfélchie ».
b) « donné ».
c) « donne ».
d) « quelques fois ».
e) « pardonné ».
f) « séparé ».

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